Kumi Now - Semaine 45 - Dar al-Kalima - la résistance par l'art


Kumi Now Semaine 45 : du 25 au 31 août 2019
Dar al-Kalima  - La résistance par l’art


Soumis à l’occupation israélienne, les Palestiniens réagissent de différentes façons et ont recours à des formes originales de résistance. L’Université Dar al-Kalima des Arts et de la Culture ainsi que d’autres écoles et organisations artistiques ont bien compris que l’art comme outil de résistance est une pierre angulaire d’une résistance non-violente. Voici ce qu’il vous faut savoir sur les artistes palestiniens engagés dans la résistance non-violente et ce que vous pouvez faire pour que nous puissions nous lever (Kumi !) ensemble.
Organisation
La Faculté des Arts et de la Culture de l’Université al-Kalima compte actuellement près de 500 étudiants inscrits dans ses programmes de licence et associés. La mission de cette institution d’enseignement supérieur est de former une nouvelle génération de créateurs en Palestine, dans les domaines des arts plastiques, de la musique (compositeurs et interprètes), de la danse, du cinéma, du design… tous capables de donner vie à une identité palestinienne dynamique.  
Vous pouvez apporter votre soutien à cette mission en aidant un étudiant de l’Université Dar al-Kalima par une bourse de Bright Stars of Bethlehem (Brillantes étoiles de Bethléem) : www.brightstarsbethlehem.org
Vous pouvez trouver Dar al-Kalima sur son site web à http://www.daralkalima.edu.ps/en/, ou sur Facebook à https://www.facebook.com/daralkalimaUniversity ou sur YouTube à https://www.youtube.com/user/DiyarProductions.
La situation
‟Nous disons que notre option chrétienne face à l’occupation israélienne est la résistance ; c'est là un droit et un devoir des chrétiens. Or cette résistance doit suivre la logique de l’amour. Elle doit donc être créative, c'est-à-dire qu'il lui faut trouver les moyens humains qui parlent à l’humanité de l’ennemi lui-même.” (Document Kairos Palestine 4.2.3)
Les Palestiniens ont cru un temps que le conflit israélo-palestinien était une course de vitesse. Ceux qui y ont pris part dans cette perspective se sont vite trouvés essoufflés. Mais ils se rendent compte maintenant que ce conflit, l’un des plus longs de l’histoire moderne, est un marathon. Dans un marathon les gens doivent respirer différemment, s’entraîner autrement puis courir à la vitesse pour laquelle on s’est entraîné. Et il faut avoir du souffle !
On a trop souvent présenté la tragédie palestinienne comme une crise humanitaire plutôt qu’une crise relative à l’identité et à l’autodétermination. On a pensé alors que l’art était un luxe que les Palestiniens ne pouvaient pas se payer. Qu’ils avaient plutôt besoin de pain pour se remplir l’estomac afin de penser et vivre un jour de plus. Mais les gens ‘ne vivent pas de pain seulement’ ! L’art et la culture par contre nourrissent l’âme et lui permettent de s’épanouir. Ils donnent aux gens la force de refuser de n’être que des assistés et des pauvres victimes. Ils permettent aux gens de devenir acteurs plutôt que spectateurs, et leur donnent le souffle nécessaire pour résister.

Car partout où il y a occupation, il y aura aussi de la résistance. C’est pourquoi la question n’est pas de savoir s’il faut résister, elle est : Comment résister ? Un peuple affamé dans son corps et dans son âme se laissera aller à la violence : une violence qui est inacceptable et qui ne mènera qu’à d’autres pertes. L’art résiste à cela et devient alors à la fois nourriture et mode de résistance, tout comme l’entendait le poète de Nazareth Tawfiq Zayyad quand il écrivait dans "Here we shall stay / C’est ici que nous resterons" : "Nous avons faim, n’avons pas de vêtements. Nous résistons et  chantons nos chants. Nous balayons les rues malades de nos danses furieuses et saturons les prisons de dignité et de fierté".
Mais l’art fait bien plus que de simplement réaffirmer l’humanité et mettre l’accent sur la résistance : l’art est un pont important qui relie la Palestine au le reste du monde. Sans ce pont, les offenses que constituent le mur de séparation illégal et les actions des Forces israéliennes de défense resteraient ignorées par un monde occidental qui ne voit pas la réalité et n'a de la sympathie que pour Israël.
Des œuvres comme La Palestine de Joe Sacco font découvrir à un auditoire anglophone les souffrances dans les territoires palestiniens occupés. Le succès remporté par DAM avec des chansons comme ‟Je suis tombée amoureuse d’un Juif” mettent en relief l’inégalité entre Juifs et Palestiniens. Le succès de Nas Daily sur Facebook permet d’atteindre des auditoires que ne touchent pas les autres médias. Et Banksy tout comme d’autres artistes internationaux ont, avec le projet Santa’s Ghetto et l'Hôtel emmuré (respectivement en couvrant de fresques le Mur de séparation et en en faisant l'unique horizon des chambres d'un hôtel) ont attiré l’attention sur le fameux Mur et ses 709 kilomètres d’oppression. Comme l’écrit Ron English dans "Contre le Mur : L’art de la résistance en Palestine": ‟Comment rendre un mur qui est assez loin pour être ignoré assez proche pour être vu … ? Pour moi la réponse est simple : Recouvrez-le de peinture pour qu'il soit plus facile à voir.”
Sans ce pont, le reste du monde n'a que Hollywood pour comprendre les Palestiniens, savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils espèrent et ce dont ils rêvent. Mais loin des films d’Hollywood sur Israël et la Palestine se vivent des drames humains dans lesquels les Palestiniens sont tout simplement des gens "normaux"… Aucun film ne montre des soldats et des colons israéliens en train d’arracher des oliviers, d’abattre des civils palestiniens dans des villes palestiniennes. Aucun film ne montre des familles palestiniennes qui luttent pour survivre sous l’occupation, qui vivent dans des camps de réfugiés, qui espèrent avoir leur propre pays et des passeports portant le nom de "Palestine". C’est la conclusion à laquelle arrive Jack G. Shaheen dans "Reel Bad Arabs : How Hollywood Vilifies a People" / "Les méchants Arabes des films : Comment Hollywood dénigre tout un peuple". Car dans ces films, "les Palestiniens sont présentés comme des ‘terroristes’, jamais comme des innocents qui souffrent de l’occupation israélienne."
Malheureusement, l’art palestinien et l’art présentant les Palestiniens et les musulmans sous un jour positif sont rarement accessibles et largement dépassés en nombre par les stéréotypes négatifs. Les films et les spectacles qui présentent les Palestiniens sous un jour positif comme Hanna K, La petite fille au tambour, ou encore Amreeka sont rarement proposés. Beaucoup d'œuvres d’auteurs célèbres comme Ghassan Kanafani ou Fadwa Tuqan ne sont pas traduites en d'autres langues, et si elles l'ont été elles ne sont souvent pas réimprimées et même pas disponibles numériquement. Et les œuvres de Mahmoud Darwish et de Khalil Gibran sont reléguées dans les coins reculés des grandes librairies et, comme d’autres œuvres artistiques et musicales ou encore des films créés par des Palestiniens, ne sont presque jamais promus hors des territoires palestiniens.
La force de l’art, c'est de réaffirmer l’humanité des Palestiniens, de leur donner le souffle nécessaire pour continuer leur lutte pacifique en faveur de la liberté. L’art contribue à attirer l’attention sur un long combat dans ce monde à la fois désireux de dépasser les erreurs du passé et toujours à nouveau distrait par les dernières polémiques sur Twitter. L'art, et c’est peut-être le plus important, doit contrer le portrait dominant des Palestiniens comme 'terroristes' donné par les médias. Dans cette confrontation, les Palestiniens et ceux qui les soutiennent doivent bien se rendre compte qu'ils résistent à une domination de type colonial, à de grandes sociétés multinationales et à une culture dominante qui essaie de les réduire au silence. L’art devient alors le moyen de donner un visage à cette lutte, d’écrire des mélodies pour le vécu palestinien, et de joindre les mains pour construire une réalité nouvelle.
Œuvres artistiques mentionnées :
- DAM, ‟“Mama, I Fell in Love with a Jew”: https://youtu.be/7zxX_yWM2us
- The Walled Off Hotel: http://www.walledoffhotel.com/
- Poème de Tawfiq Zayyad tel que traduit en musique et chant palestiniens : Expression et Résistance depuis 1900.
L’histoire de Baha Abu Shanab, cinéaste
Baha Abu Shanab, un Palestinien de 19 ans de la région d’Hébron, a fréquenté la Faculté des Arts et de la Culture de l’Université Dar al-Kalima pour étudier le tourisme et devenir guide touristique. Mais après son premier semestre, Baha a estimé que le tourisme n’était pas sa voie et s'est inscrit dans la section cinéma. Dar al-Kalima propose la première et pour le moment l'unique filière cinéma en Palestine. À Dar al-Kalima, Baha a découvert ses propres dons et talents, et l’université a investi dans ses possibilités.  
En vue de son examen final, Baha a dirigé un film sur Le Checkpoint 300, le checkpoint militaire qui sépare Bethléem de Jérusalem. Pendant plus d’un mois, Baha est allé tous les jours au checkpoint, dès 2 h du matin lorsque les premiers ouvriers palestiniens qui travaillent à Jérusalem ou en Israël commencent à y arriver. Il a filmé ce à quoi sont soumis quotidiennement les ouvriers palestiniens à ce checkpoint. Dans son film documentaire intitulé ‟La vie des pigeons” (le titre est tiré d’un poème de Mahmoud Darwich), il n'y a qu'une seule interview : les images sont plus fortes qu’un millier de mots ! Le film donne des aperçus surréalistes des premières heures du matin et présente le vécu quotidien des ouvriers palestiniens aux heures de pointe aux checkpoints israéliens. Le film de Baha a obtenu plusieurs récompenses : celle du meilleur court métrage documentaire au Festival de Cinéma du Moyen Orient de l’Université Zayed en 2015, le Prix du Meilleur Film Étranger au Festival de Chalontout Court en 2016, le prix du Meilleur Film sur la Palestine, le Prix Al-Art au festival Al-Art du film documentaire en 2016, le prix d’Amnesty International au Festival du Cinéma de Poitiers en 2016, et le prix du Meilleur court métrage au Concours du Court-Métrage du Festival Cin-Palestine de 2017.
Plus important encore que tous ces prix, le film est devenu un outil créatif puissant pour présenter le vécu palestinien d'une nouvelle manière. Il est devenu un outil de plaidoyer pour donner un visage à l'occupation et à l'humiliation, comme aucune parole ne pourrait le faire. Le film a été présenté lors de plus de 18 festivals internationaux de cinéma, et le jeune Baha est devenu un ambassadeur de son peuple. Son film est un bel exemple de ce que nous entendons par "résistance créative".
Action.
Ce n’est pas par hasard si beaucoup des artistes et des œuvres mentionnés ci-dessus et qui ont atteint un public en dehors des territoires palestiniens occupés ne sont eux-mêmes pas palestiniens. L’art palestinien reste en majeure partie piégé, enfermé en Palestine tout comme les Palestiniens eux-mêmes. Nous vous demandons d’aider l’art palestinien à traverser ces frontières en faisant l’une des choses suivantes :
Demandez à votre Église, à votre lieu de culte, à une école ou à un organisme communautaire de projeter un film qui raconte l’histoire du peuple palestinien. Vous engager ainsi avec votre communauté est une forme de plaidoyer ! Si vous ne trouvez pas de lieu public, projetez un film chez vous à la maison. Donnez la préférence à des films produits par des Palestiniens. Consultez la liste de Ressources additionnelles à la fin du livre pour des listes de documentaires et de films.
Si vous êtes engagés dans une Église, une galerie d'art, un lieu de concert, un théâtre ou une école, accueillez ou organisez une exposition d’art palestinien ou de présentation d’artistes palestiniens.
Diffusez une présentation de votre film ou de votre exposition sur les médias sociaux. Ajoutez Dar al-Kalima et un lien à cette page du site de Kumi Now avec les hashtags #KumiNow et #Kumi45.
Un texte : ‟Pensez aux autres”, de Mahmoud Darwish
Quand vous déjeunez, pensez aux autres. N’oubliez pas de nourrir les pigeons.
Quand vous menez vos guerres, pensez aux autres. N’oubliez pas ceux qui demandent désespérément la paix.
Quand vous payez votre facture d’eau, pensez aux autres qui boivent la pluie qui tombe des nuages.
Quand vous rentrez à la maison, à votre maison, pensez aux autres. N’oubliez pas ceux qui vivent sous des tentes.
Quand vous dormez en comptant les planètes, pensez aux autres. Il y a des gens qui n'ont pas d'abri pour dormir.
Quand vous vous exprimez en toutes sortes de métaphores, pensez aux autres qui ont perdu leur droit de s’exprimer.
Quand vous pensez à d’autres qui sont au loin, pensez à vous-mêmes et dites ‟Je voudrais être une chandelle pour faire disparaître l’obscurité”.
‟Think of Others” (Pensez aux autres) de Mahmour Darwish, considéré comme le poète national palestinien. Extrait de ‟Almond Blossoms and Beyond” (Fleurs d’amandiers et au-delà), traduction en anglais de Mohammed Shaheen, Interlink Books 2010. …Et retraduit en français !
Ressources, en anglais
Vidéos en ligne :
“Gaza Artists Give the Great March of Return a New Beat” de Middle East Monitor: https://www.middleeastmonitor.com/20180521-gaza-artists-give-the-great-march-of-return-a-new-beat/
Art as a form of Nonviolent Resistance: Part 1: http://youtu.be/Fl2_xi75O_8 Part 2: https://youtu.be/5a-w5HpsbxM
Welcome to the Banksy Art Hotel in Bethlehem: https://youtu.be/CMS6Ds3qryY
Encore! In the Palestinian Territories: Resistance through Culture: part 1: https://youtu.be/SxzcqCio9sQ Part 2: https://youtu.be/bNy_dersH4w
The Art of Resistance: https://youtu.be/QttCF1sURzU
Livres :
Against the Wall: The Art of Resistance in Palestine, de William Parry.
This Is Not a Border: Reportage and Reflection from the Palestinian Festival of Literature.
Faith in the Face of Empire: The Bible through Palestinian Eyes, de Mitri Raheb (Maryknoll: Orbis, 2014).
The Cross in Contexts: Suffering and Redemption in Palestine, de Mitri Raheb & Suzanne Watts Henderson (Maryknoll: Orbis, 2017).
Festivals
Si vous habitez en Palestine ou projetez de vous y rendre, participez aux festivals artistiques, puis faites les découvrir à vos amis et à votre famille pour qu’ils découvrent la véritable résistance des Palestiniens. Quelques exemples de festivals :
Festival palestinien de littérature, en mai : http://www.palfest.org
Festival Al-Kamandjati, de musique spirituelle et traditionnelle, en avril : http://www.alkamandjati.org/en/category/118/1/Al-Kamandjati-Festival
Festival Mekudeshet, en septembre : http://en.mekudeshet.com
Festival de Naplouse : https://www.nablusfestival.org
Peut-être trouverez-vous aussi un festival du film palestinien, ou des arts de Palestine, près de chez vous. En France, il y en a régulièrement à Strasbourg, organisés par le Collectif judéo-arabe et citoyen pour la Palestine. Il y en a dans d’autres villes aussi, et dans beaucoup d’autres pays. En voici quelques exemples :
Belfast Palestine Arts Festival: http://belfastpalestineartsfestival.org
Boston Palestine Film Festival: http://www.bostonpalestinefilmfest.org
Chicago Palestine Film Festival: http://palestinefilmfest.com
DCPFAF (Washington D.C.): https://www.dcpfaf.org
Palestinian Film Festival Australia: http://palestinianfilmfestival.com.au
Vous pouvez aussi aider financièrement :
Le Festival palestinien de Littérature: http://palfest.org/support/

Traduit par les Amis de Sabeel France


Soumis à l’occupation israélienne, les Palestiniens réagissent de différentes façons et ont recours à des formes originales de résistance. L’Université Dar al-Kalima des Arts et de la Culture ainsi que d’autres écoles et organisations artistiques ont bien compris que l’art comme outil de résistance est une pierre angulaire d’une résistance non-violente. Voici ce qu’il vous faut savoir sur les artistes palestiniens engagés dans la résistance non-violente et ce que vous pouvez faire pour que nous puissions nous lever (Kumi !) ensemble.
Organisation
La Faculté des Arts et de la Culture de l’Université al-Kalima compte actuellement près de 500 étudiants inscrits dans ses programmes de licence et associés. La mission de cette institution d’enseignement supérieur est de former une nouvelle génération de créateurs en Palestine, dans les domaines des arts plastiques, de la musique (compositeurs et interprètes), de la danse, du cinéma, du design… tous capables de donner vie à une identité palestinienne dynamique.  
Vous pouvez apporter votre soutien à cette mission en aidant un étudiant de l’Université Dar al-Kalima par une bourse de Bright Stars of Bethlehem (Brillantes étoiles de Bethléem) : www.brightstarsbethlehem.org
Vous pouvez trouver Dar al-Kalima sur son site web à http://www.daralkalima.edu.ps/en/, ou sur Facebook à https://www.facebook.com/daralkalimaUniversity ou sur YouTube à https://www.youtube.com/user/DiyarProductions.
La situation
‟Nous disons que notre option chrétienne face à l’occupation israélienne est la résistance ; c'est là un droit et un devoir des chrétiens. Or cette résistance doit suivre la logique de l’amour. Elle doit donc être créative, c'est-à-dire qu'il lui faut trouver les moyens humains qui parlent à l’humanité de l’ennemi lui-même.” (Document Kairos Palestine 4.2.3)
Les Palestiniens ont cru un temps que le conflit israélo-palestinien était une course de vitesse. Ceux qui y ont pris part dans cette perspective se sont vite trouvés essoufflés. Mais ils se rendent compte maintenant que ce conflit, l’un des plus longs de l’histoire moderne, est un marathon. Dans un marathon les gens doivent respirer différemment, s’entraîner autrement puis courir à la vitesse pour laquelle on s’est entraîné. Et il faut avoir du souffle !
On a trop souvent présenté la tragédie palestinienne comme une crise humanitaire plutôt qu’une crise relative à l’identité et à l’autodétermination. On a pensé alors que l’art était un luxe que les Palestiniens ne pouvaient pas se payer. Qu’ils avaient plutôt besoin de pain pour se remplir l’estomac afin de penser et vivre un jour de plus. Mais les gens ‘ne vivent pas de pain seulement’ ! L’art et la culture par contre nourrissent l’âme et lui permettent de s’épanouir. Ils donnent aux gens la force de refuser de n’être que des assistés et des pauvres victimes. Ils permettent aux gens de devenir acteurs plutôt que spectateurs, et leur donnent le souffle nécessaire pour résister.
Car partout où il y a occupation, il y aura aussi de la résistance. C’est pourquoi la question n’est pas de savoir s’il faut résister, elle est : Comment résister ? Un peuple affamé dans son corps et dans son âme se laissera aller à la violence : une violence qui est inacceptable et qui ne mènera qu’à d’autres pertes. L’art résiste à cela et devient alors à la fois nourriture et mode de résistance, tout comme l’entendait le poète de Nazareth Tawfiq Zayyad quand il écrivait dans "Here we shall stay / C’est ici que nous resterons" : "Nous avons faim, n’avons pas de vêtements. Nous résistons et  chantons nos chants. Nous balayons les rues malades de nos danses furieuses et saturons les prisons de dignité et de fierté".
Mais l’art fait bien plus que de simplement réaffirmer l’humanité et mettre l’accent sur la résistance : l’art est un pont important qui relie la Palestine au le reste du monde. Sans ce pont, les offenses que constituent le mur de séparation illégal et les actions des Forces israéliennes de défense resteraient ignorées par un monde occidental qui ne voit pas la réalité et n'a de la sympathie que pour Israël.
Des œuvres comme La Palestine de Joe Sacco font découvrir à un auditoire anglophone les souffrances dans les territoires palestiniens occupés. Le succès remporté par DAM avec des chansons comme ‟Je suis tombée amoureuse d’un Juif” mettent en relief l’inégalité entre Juifs et Palestiniens. Le succès de Nas Daily sur Facebook permet d’atteindre des auditoires que ne touchent pas les autres médias. Et Banksy tout comme d’autres artistes internationaux ont, avec le projet Santa’s Ghetto et l'Hôtel emmuré (respectivement en couvrant de fresques le Mur de séparation et en en faisant l'unique horizon des chambres d'un hôtel) ont attiré l’attention sur le fameux Mur et ses 709 kilomètres d’oppression. Comme l’écrit Ron English dans "Contre le Mur : L’art de la résistance en Palestine": ‟Comment rendre un mur qui est assez loin pour être ignoré assez proche pour être vu … ? Pour moi la réponse est simple : Recouvrez-le de peinture pour qu'il soit plus facile à voir.”
Sans ce pont, le reste du monde n'a que Hollywood pour comprendre les Palestiniens, savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils espèrent et ce dont ils rêvent. Mais loin des films d’Hollywood sur Israël et la Palestine se vivent des drames humains dans lesquels les Palestiniens sont tout simplement des gens "normaux"… Aucun film ne montre des soldats et des colons israéliens en train d’arracher des oliviers, d’abattre des civils palestiniens dans des villes palestiniennes. Aucun film ne montre des familles palestiniennes qui luttent pour survivre sous l’occupation, qui vivent dans des camps de réfugiés, qui espèrent avoir leur propre pays et des passeports portant le nom de "Palestine". C’est la conclusion à laquelle arrive Jack G. Shaheen dans "Reel Bad Arabs : How Hollywood Vilifies a People" / "Les méchants Arabes des films : Comment Hollywood dénigre tout un peuple". Car dans ces films, "les Palestiniens sont présentés comme des ‘terroristes’, jamais comme des innocents qui souffrent de l’occupation israélienne."
Malheureusement, l’art palestinien et l’art présentant les Palestiniens et les musulmans sous un jour positif sont rarement accessibles et largement dépassés en nombre par les stéréotypes négatifs. Les films et les spectacles qui présentent les Palestiniens sous un jour positif comme Hanna K, La petite fille au tambour, ou encore Amreeka sont rarement proposés. Beaucoup d'œuvres d’auteurs célèbres comme Ghassan Kanafani ou Fadwa Tuqan ne sont pas traduites en d'autres langues, et si elles l'ont été elles ne sont souvent pas réimprimées et même pas disponibles numériquement. Et les œuvres de Mahmoud Darwish et de Khalil Gibran sont reléguées dans les coins reculés des grandes librairies et, comme d’autres œuvres artistiques et musicales ou encore des films créés par des Palestiniens, ne sont presque jamais promus hors des territoires palestiniens.
La force de l’art, c'est de réaffirmer l’humanité des Palestiniens, de leur donner le souffle nécessaire pour continuer leur lutte pacifique en faveur de la liberté. L’art contribue à attirer l’attention sur un long combat dans ce monde à la fois désireux de dépasser les erreurs du passé et toujours à nouveau distrait par les dernières polémiques sur Twitter. L'art, et c’est peut-être le plus important, doit contrer le portrait dominant des Palestiniens comme 'terroristes' donné par les médias. Dans cette confrontation, les Palestiniens et ceux qui les soutiennent doivent bien se rendre compte qu'ils résistent à une domination de type colonial, à de grandes sociétés multinationales et à une culture dominante qui essaie de les réduire au silence. L’art devient alors le moyen de donner un visage à cette lutte, d’écrire des mélodies pour le vécu palestinien, et de joindre les mains pour construire une réalité nouvelle.
Œuvres artistiques mentionnées :
- DAM, ‟“Mama, I Fell in Love with a Jew”: https://youtu.be/7zxX_yWM2us
- The Walled Off Hotel: http://www.walledoffhotel.com/
- Poème de Tawfiq Zayyad tel que traduit en musique et chant palestiniens : Expression et Résistance depuis 1900.
L’histoire de Baha Abu Shanab, cinéaste
Baha Abu Shanab, un Palestinien de 19 ans de la région d’Hébron, a fréquenté la Faculté des Arts et de la Culture de l’Université Dar al-Kalima pour étudier le tourisme et devenir guide touristique. Mais après son premier semestre, Baha a estimé que le tourisme n’était pas sa voie et s'est inscrit dans la section cinéma. Dar al-Kalima propose la première et pour le moment l'unique filière cinéma en Palestine. À Dar al-Kalima, Baha a découvert ses propres dons et talents, et l’université a investi dans ses possibilités.  
En vue de son examen final, Baha a dirigé un film sur Le Checkpoint 300, le checkpoint militaire qui sépare Bethléem de Jérusalem. Pendant plus d’un mois, Baha est allé tous les jours au checkpoint, dès 2 h du matin lorsque les premiers ouvriers palestiniens qui travaillent à Jérusalem ou en Israël commencent à y arriver. Il a filmé ce à quoi sont soumis quotidiennement les ouvriers palestiniens à ce checkpoint. Dans son film documentaire intitulé ‟La vie des pigeons” (le titre est tiré d’un poème de Mahmoud Darwich), il n'y a qu'une seule interview : les images sont plus fortes qu’un millier de mots ! Le film donne des aperçus surréalistes des premières heures du matin et présente le vécu quotidien des ouvriers palestiniens aux heures de pointe aux checkpoints israéliens. Le film de Baha a obtenu plusieurs récompenses : celle du meilleur court métrage documentaire au Festival de Cinéma du Moyen Orient de l’Université Zayed en 2015, le Prix du Meilleur Film Étranger au Festival de Chalontout Court en 2016, le prix du Meilleur Film sur la Palestine, le Prix Al-Art au festival Al-Art du film documentaire en 2016, le prix d’Amnesty International au Festival du Cinéma de Poitiers en 2016, et le prix du Meilleur court métrage au Concours du Court-Métrage du Festival Cin-Palestine de 2017.
Plus important encore que tous ces prix, le film est devenu un outil créatif puissant pour présenter le vécu palestinien d'une nouvelle manière. Il est devenu un outil de plaidoyer pour donner un visage à l'occupation et à l'humiliation, comme aucune parole ne pourrait le faire. Le film a été présenté lors de plus de 18 festivals internationaux de cinéma, et le jeune Baha est devenu un ambassadeur de son peuple. Son film est un bel exemple de ce que nous entendons par "résistance créative".
Action.
Ce n’est pas par hasard si beaucoup des artistes et des œuvres mentionnés ci-dessus et qui ont atteint un public en dehors des territoires palestiniens occupés ne sont eux-mêmes pas palestiniens. L’art palestinien reste en majeure partie piégé, enfermé en Palestine tout comme les Palestiniens eux-mêmes. Nous vous demandons d’aider l’art palestinien à traverser ces frontières en faisant l’une des choses suivantes :
Demandez à votre Église, à votre lieu de culte, à une école ou à un organisme communautaire de projeter un film qui raconte l’histoire du peuple palestinien. Vous engager ainsi avec votre communauté est une forme de plaidoyer ! Si vous ne trouvez pas de lieu public, projetez un film chez vous à la maison. Donnez la préférence à des films produits par des Palestiniens. Consultez la liste de Ressources additionnelles à la fin du livre pour des listes de documentaires et de films.
Si vous êtes engagés dans une Église, une galerie d'art, un lieu de concert, un théâtre ou une école, accueillez ou organisez une exposition d’art palestinien ou de présentation d’artistes palestiniens.
Diffusez une présentation de votre film ou de votre exposition sur les médias sociaux. Ajoutez Dar al-Kalima et un lien à cette page du site de Kumi Now avec les hashtags #KumiNow et #Kumi45.
Un texte : ‟Pensez aux autres”, de Mahmoud Darwish
Quand vous déjeunez, pensez aux autres. N’oubliez pas de nourrir les pigeons.
Quand vous menez vos guerres, pensez aux autres. N’oubliez pas ceux qui demandent désespérément la paix.
Quand vous payez votre facture d’eau, pensez aux autres qui boivent la pluie qui tombe des nuages.
Quand vous rentrez à la maison, à votre maison, pensez aux autres. N’oubliez pas ceux qui vivent sous des tentes.
Quand vous dormez en comptant les planètes, pensez aux autres. Il y a des gens qui n'ont pas d'abri pour dormir.
Quand vous vous exprimez en toutes sortes de métaphores, pensez aux autres qui ont perdu leur droit de s’exprimer.
Quand vous pensez à d’autres qui sont au loin, pensez à vous-mêmes et dites ‟Je voudrais être une chandelle pour faire disparaître l’obscurité”.
‟Think of Others” (Pensez aux autres) de Mahmour Darwish, considéré comme le poète national palestinien. Extrait de ‟Almond Blossoms and Beyond” (Fleurs d’amandiers et au-delà), traduction en anglais de Mohammed Shaheen, Interlink Books 2010. …Et retraduit en français !
Ressources, en anglais
Vidéos en ligne :
“Gaza Artists Give the Great March of Return a New Beat” de Middle East Monitor: https://www.middleeastmonitor.com/20180521-gaza-artists-give-the-great-march-of-return-a-new-beat/
Art as a form of Nonviolent Resistance: Part 1: http://youtu.be/Fl2_xi75O_8 Part 2: https://youtu.be/5a-w5HpsbxM
Welcome to the Banksy Art Hotel in Bethlehem: https://youtu.be/CMS6Ds3qryY
Encore! In the Palestinian Territories: Resistance through Culture: part 1: https://youtu.be/SxzcqCio9sQ Part 2: https://youtu.be/bNy_dersH4w
The Art of Resistance: https://youtu.be/QttCF1sURzU
Livres :
Against the Wall: The Art of Resistance in Palestine, de William Parry.
This Is Not a Border: Reportage and Reflection from the Palestinian Festival of Literature.
Faith in the Face of Empire: The Bible through Palestinian Eyes, de Mitri Raheb (Maryknoll: Orbis, 2014).
The Cross in Contexts: Suffering and Redemption in Palestine, de Mitri Raheb & Suzanne Watts Henderson (Maryknoll: Orbis, 2017).
Festivals
Si vous habitez en Palestine ou projetez de vous y rendre, participez aux festivals artistiques, puis faites les découvrir à vos amis et à votre famille pour qu’ils découvrent la véritable résistance des Palestiniens. Quelques exemples de festivals :
Festival palestinien de littérature, en mai : http://www.palfest.org
Festival Al-Kamandjati, de musique spirituelle et traditionnelle, en avril : http://www.alkamandjati.org/en/category/118/1/Al-Kamandjati-Festival
Festival Mekudeshet, en septembre : http://en.mekudeshet.com
Festival de Naplouse : https://www.nablusfestival.org
Peut-être trouverez-vous aussi un festival du film palestinien, ou des arts de Palestine, près de chez vous. En France, il y en a régulièrement à Strasbourg, organisés par le Collectif judéo-arabe et citoyen pour la Palestine. Il y en a dans d’autres villes aussi, et dans beaucoup d’autres pays. En voici quelques exemples :
Belfast Palestine Arts Festival: http://belfastpalestineartsfestival.org
Boston Palestine Film Festival: http://www.bostonpalestinefilmfest.org
Chicago Palestine Film Festival: http://palestinefilmfest.com
DCPFAF (Washington D.C.): https://www.dcpfaf.org
Palestinian Film Festival Australia: http://palestinianfilmfestival.com.au
Vous pouvez aussi aider financièrement :
Le Festival palestinien de Littérature: http://palfest.org/support/

Traduit par les Amis de Sabeel France

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire