Interviews du père Jamal Khader et du rév. Jamil Khadir, Conseil Oecuménique des Eglises, 26 novembre 2020

 

DANS LE CADRE DE LA RÉCOLTE DES OLIVES EN PALESTINE

INTERVIEWS du père Jamal Khader
et du RÉV. Jamil KHadir

par Anne Casparsson

 

Ces interviews font partie d’une série produite par le Conseil Œcuménique des Églises pour rendre attentif à l’importance de la récolte des olives dans les communautés palestiniennes, autant au plan économique qu’aux plans spirituel et culturel (n’oublions pas que l’Unesco a décidé en 2019 de faire du 26 novembre la Journée mondiale de l’olivier !), et aussi pour rappeler l’impact de l’occupation israélienne dans la vie de ces communautés. Elles ont été réalisées par Anne Casparsson, une journaliste indépendante qui met l’accent sur la justice et sur la paix.

Photo : Albin Hillert, Conseil Œcuménique des Églises. 25 novembre 2020


Le père Jamal Khader :
« Nous devons faire vivre l’espérance en Palestine »

Tout invite à perdre espoir quand on voit la situation des Palestiniens qui sont humiliés quotidiennement, sans parler des annexions de leurs terres, du développement des colonies juives sur elles, des saisies de terres et de la pauvreté. Cela fait 53 ans cette année que la Palestine est illégalement occupée. Mais il y a aussi beaucoup de gens en Palestine qui entretiennent l’espoir, la foi et l’amour afin de transformer cette situation. Voici les réflexions du Père Jamal Khader sur les difficultés de la vie et sur l’espérance. Le Père Jamal Khader est Directeur des écoles du Patriarcat latin de Jérusalem et prêtre de la paroisse de la Sainte Famille de Ramallah, qui a cinq lieux de culte. 

Pourriez-vous nous dire quelques mots sut votre paroisse et sur votre propre parcours pour devenir prêtre ?

Père Khader : Je viens d’un petit village chrétien de Cisjordanie, Zababdeh, et j’ai été ordonné prêtre en 1988. Aujourd’hui je suis directeur de l’École du Patriarcat Latin et secrétaire général de l’ensemble des 67 écoles chrétiennes de Palestine.

La vie se poursuit à Ramallah, mais nous rencontrons beaucoup de problèmes et de difficultés. Les gens souffrent de problèmes financiers, de la pandémie, de l’occupation et du projet d’annexion. On construit de nouvelles colonies, et la situation politique est très incertaine. Beaucoup perdent espoir, et notre mission d’Église est de maintenir l’espoir vivant, même si ce n’est pas facile. Nous travaillons dur pour venir en aide aux gens les plus vulnérables de notre société. Il nous reste une très petite communauté chrétienne en Palestine, ce qui rend notre mission bien difficile. 

Quels sont aujourd’hui vos défis en tant que leader chrétien à Ramallah et en Palestine ?

Père Khader : Nous connaissons dans notre société beaucoup de pauvreté et quantité de violences. Cela vient de la situation très injuste que nous impose l’occupation israélienne.

Certains des défis auxquels nous sommes confrontés sont aussi le fait de nos sœurs et frères chrétiens ailleurs dans le monde. Comme chrétiens nous pensons que nous sommes tous égaux, avec les mêmes droits et la même dignité. Et cela vaut même pour nous autres Palestiniens. Ce qui pose problème, c’est que nous trouvons des modes de pensée sionistes au sein de beaucoup d’Églises, dont aussi un petit nombre de communautés au sein de l’Église catholique, qui utilisent la religion pour justifier l’occupation et l’annexion de la Palestine. Ils insistent sur le fait que les Juifs ont un droit divin à cette terre. Mais qu’est-ce que cela signifie pour les Palestiniens ? Leurs droits impliquent-ils une extrême injustice pour nous ?

Nous sommes en train d’organiser des séminaires sur le sujet pour promouvoir le dialogue et la discussion avec diverses Églises d’Europe. Comment Dieu peut-il être un Dieu d’amour et nourrir en même temps l’injustice ? L’Église protestante en Palestine organise chaque année des conférences « Christ au Checkpoint » pour les membres des Églises évangéliques des États-Unis, à deux cents mètres du mur de séparation. Cela ouvre les yeux à beaucoup de participants. Ils découvrent sur le terrain une tout autre réalité que celle qu’ils avaient à l’esprit auparavant. C’est une façon de faire face aux défis théologiques.

Comment peut-on cultiver la foi, l’espérance et l’amour dans des situations aussi difficiles ?

Père Khader : Lorsque nous parlons de paix et de justice, nous disons que chaque être humain est créé à l’image de Dieu et qu’il est ma sœur et mon frère. Mon voisin n’est pas mon ennemi, mais ma sœur ou mon frère. Nous appliquons cela dans nos écoles où nous accueillons à la fois des enfants chrétiens et des enfants musulmans. C’est une question de valeurs, de vie humaine, de justice et de dignité.

Nous devons garder l’espérance vivante, même si nous ne voyons rien de bon venir du monde politique. Nous devons au contraire voir d’autres signes d’espoir, comme la solidarité du Conseil Œcuménique des Églises, le travail à l’échelle locale, des gens du monde entier qui prient pour nous, et des jeunes enfants d’ici qui croient en la non-violence.

L’amour est quelque chose de très concret, c’est la lutte contre le mal. L’amour s’applique à tout le monde, en commençant par ceux qui souffrent le plus. C’est une mission de l’Église. Et nous devons en assumer même la partie la plus difficile : Aimer nos ennemis. C’est notre commandement chrétien.

Comment combattre le mieux l’occupation d’un point de vue spirituel ?

Père Khader : En tant que chrétiens nous croyons à la force de la prière. Se montrer solidaire des Palestiniens par la prière est un acte qui appelle la justice. La vie spirituelle verra l’image de Dieu dans chaque être humain particulier.

Comment pouvons-nous agir en tant que chrétiens, en continuant à croire à la paix et à la justice pour les Palestiniens ?

Père Khader : Il y a de nombreuses mesures qu’il est possible de prendre en vue de la justice et de la paix en Palestine. L’une d’entre elles est de venir sur place pour y constater la situation. Une autre consiste à combattre le sionisme au sein des Églises, et à agir pour une vraie justice et pour la paix. Et pensez aussi à la situation à Gaza dans votre solidarité pour la Palestine. Les gens y vivent dans des conditions épouvantables. Informez les gens, agissez en collaboration avec le Conseil Œcuménique des Églises, et ayez des relations avec les chrétiens de Palestine. L’action pour la justice et la paix demande de la créativité. Soyez courageux en matière de théologie, et faites preuve de créativité dans l’action pour la justice et la paix. Nous avons besoin de tout le soutien que le monde peut nous offrir.  

 

Rév. Jamil Khadir:
« Sans la foi il n’y a pas réellement d’espoir » en Palestine

Le Rév. Jamil Khadir, 23 novembre 2020. 

L’occupation illégale des territoires palestiniens dure depuis 53 ans, imposant de profondes injustices dans la vie quotidienne des communautés locales. À Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie, beaucoup de Palestiniens savent ce qu’est la vie avec des colonies israéliennes à proximité immédiate, et il en est de même dans les villages des alentours où les propriétaires terriens palestiniens font régulièrement l’objet d’agressions de la part de colons. Pourtant il y en a beaucoup dans le secteur qui persévèrent et travaillent dur chaque jour pour promouvoir la paix et la justice. Voici les réflexions du Rév. Jamal Khadir sur ce que cela signifie pour lui comme pasteur à Naplouse. Il y est le responsable de deux paroisses de l’Église Épiscopale : l’église du Bon Berger et l’église Saint Philippe. 

Voudriez-vous nous dire quelques mots sur votre communauté et votre parcours personnel vers la prêtrise ?

Rév. Khadir : Enfant déjà, je voulais devenir prêtre. J’ai grandi à Jénine dans une famille qui avait des liens étroits avec la paroisse locale. Dans notre communauté ici à Naplouse, nous avons des médecins, des enseignants, des étudiants et des ingénieurs qui tous se demandent comment ils peuvent apporter leur soutien à la communauté et à leur paroisse. Nous travaillons dur à mener notre vie pacifiquement, entre nous et avec nos amis musulmans. Nous sommes heureux que de jeunes musulmans participent à nos activités, et aussi quand nos voisins, nos amis et nos parents musulmans nous rendent visite. Notre Église fait partie d’une vaste communauté, et nous sommes reconnaissants pour les bonnes relations que nous y vivons.

Quels sont pour vous, en tant que pasteur, les défis à Naplouse aujourd’hui ?

Rév. Khadir : Beaucoup de gens souffrent, pas seulement de l’occupation mais aussi à cause de la mauvaise situation économique et du chômage. Comme prêtre j’essaie d’encourager ces gens à rester malgré tout dans ce pays. La vie peut sembler plus facile ailleurs, mais c’est souvent une illusion. Vivre loin de sa famille, de sa culture et de son pays est loin d’être facile. Et si tout le monde s’en va, qu’en sera-t-il de notre culture, de notre pays, de nos familles ? Beaucoup me demandent alors : « Pourquoi m’incitez-vous à rester ici sans perspectives, et avec des violations quotidiennes des droits humains ? » Mais s’ils partent maintenant, qui va rester ?

Comment peut-on entretenir la foi, l’espérance et l’amour en ces temps difficiles ?

Rév. Khadir : Chrétiens comme musulmans, nous souffrons tous de l’occupation, il n’y a pas de différence entre nous. Dans notre école maternelle nous avons 37 enfants. L’un d’eux est chrétien, tous les autres sont musulmans. Tous nos voisins sont musulmans, mais nous vivons en paix les uns avec les autres et notre gouvernement respecte les diverses croyances. Ensemble nous avons un rôle important à jouer pour la justice, la paix et la réconciliation. Les trois mots foi, espérance et amour sont très importants pour nous autres chrétiens, le plus grand étant l’amour. Je considère la foi comme la façon dont nous pouvons mener notre vie en présence de Jésus-Christ. Bien sûr vous pouvez mener votre vie sans cette présence du Christ, mais alors vous n’avez pas réellement la foi. Et sans la foi il n’y a pas réellement d’espérance. Notre vie déborde de souffrances, mais la foi nous aide à faire face aux problèmes. Dieu n’écarte jamais nos problèmes, mais il nous promet d’être à nos côtés au milieu des souffrances. L’occupation fait partie de nos souffrances et de nos problèmes. Mais il nous faut avoir la foi et l’espérance. Sans cela vous ne pourrez pas faire face.

Comment peut-on mener la lutte contre l’occupation d’un point de vue spirituel ?

Rév. Khadir : En tant que chrétiens nous n’avons pas recours à la violence, c’est l’amour qui est notre force. On peut résumer le christianisme par ce simple mot : « amour ». Nous sommes confrontés à l’occupation et souffrons avec de grands cœurs d’amour. C’est un commandement du Seigneur : Vous devez aimer votre ennemi. Mais cela ne signifie pas de tout accepter et de permettre à quiconque d’agir de façon mauvaise ou cruelle. Par notre amour nous pouvons tout changer. Par nos actes nous pouvons changer un cœur de pierre dur comme un roc en un cœur d’amour et de paix. L’évangile nous dit d’être des artisans de paix. C’est cela que j’enseigne à ma paroisse. Nous sommes chrétiens par nos paroles et par nos actes, par notre amour et par nos actions. Cela fait partie de notre mission en cette vie. 

Comment pouvons-nous, comme chrétiens, travailler et continuer à croire à la paix et à la justice pour les Palestiniens ?

Rév. Khadir : La Palestine est le lieu où Jésus a accompli ses miracles, où il a vécu et souffert, et où il est mort. Tous ceux qui se disent chrétiens, partout dans le monde, sont frères et sœurs en Christ. Nous devons prendre soin les uns des autres. Et si vos frères et vos sœurs souffrent, que ferez-vous ? Tout d’abord il est très important de prier les uns pour les autres. Les prières peuvent tout changer, elles seront d’un grand soutien aux Palestiniens que nous sommes. Ensuite il vous faut venir voir la réalité sur le terrain, ici en Palestine, la voir de vos propres yeux. Vous pourrez alors devenir une voix qui dénonce la situation faite aux Palestiniens aujourd’hui, et partager cette expérience avec beaucoup de monde. Tous les chrétiens peuvent être les ambassadeurs des souffrances palestiniennes. Vous pouvez tous aider à transformer la situation par une foi, une espérance et un amour véritables.

 

Autres documents du Conseil Œcuménique des Eglises sur la récolte des olives en Palestine (en anglais) :

Learn more about the WCC olive harvest initiative 2020

In Palestine, “God honored this olive tree”

“Your life is in peace when you collect the olives"

 

 Traduction Amis de Sabeel France

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