Commission Justice
et Paix de Sabeel, le 16 mai 2022
Le sang versé succède au sang versé.
Le Seigneur est en procès avec les habitants du pays car il n’y a ni sincérité ni amour du prochain ni connaissance de Dieu dans le pays. Imprécations, tromperies, assassinats, vols, adultères se multiplient ; le sang versé succède au sang versé. Aussi le pays est-il désolé et tous ses habitants s’étiolent. (Osée 4.1-3)
L’assassinat de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh à Jénine le 11 mai 2022 nous a tous choqués. Tuée par une balle, elle n’est pas la dernière victime d’une violence qui se poursuit en Terre Sainte. Fille de notre communauté chrétienne, elle était très connue dans toute la région comme journaliste d’Al-Jazeera, et des milliers de gens sont venus la pleurer. La brutalité de la police à ses obsèques nous a laissés stupéfaits. Pourtant ces deux derniers mois nous ont fait vivre beaucoup de violences en Terre Sainte, et le plus souvent sans que cela fasse les gros titres des journaux. Le sang versé a succédé au sang versé, arrachant à la vie des juifs israéliens, des arabes palestiniens et d’autres aussi, tous victimes d’un conflit qui nous broie, sombre bilan. Nous pleurons toutes les victimes de ces effusions de sang ininterrompues, Israéliens juifs, Palestiniens arabes, et tous les autres morts. Nous continuons à crier que la violence est un mal et n’apportera pas de solution, mais seulement plus de violence encore.
En même temps, nous disons notre anxiété sur ce que l’avenir nous réservera. Les autorités politiques qui décident de l’avenir en Israël-Palestine, comme aussi les plus importantes composantes de la communauté internationale ne semblent pas vouloir se préoccuper en vérité et avec courage de ce qui est en train de se passer en Terre Sainte. Et à cause de cela elles ne peuvent pas non plus agir pour éliminer les causes de cette violence. Dans le présent essai pour comprendre les racines de cette violence, nous ne cherchons absolument pas à la justifier. C’est seulement en la comprenant que nous pourrons commencer à trouver une voie de sortie de ce cycle mortel.
1. Que s’est-il passé récemment ?
Au cours des deux derniers mois, quarante-cinq Palestiniens, seize Israéliens et deux travailleurs migrants ont été tués dans ce qu’il a été convenu d’appeler « un nouveau cycle de violence ». Et la violence se poursuit… Cette violence, bien que se déroulant surtout dans la Palestine encore sous occupation israélienne, s’est aussi manifestée à l’intérieur du territoire israélien où quinze Israéliens ont trouvé la mort, tués lors d’attaques menées par des Palestiniens qui ripostaient à la violence israélienne. Il est important de signaler que cette violence fait partie intégrante du conflit en cours.
2. Pourquoi les gens meurent-ils ?
Aussi longtemps que le conflit entre juifs israéliens et arabes palestiniens se poursuivra, aussi longtemps qu’il n’y aura ni justice, ni égalité, ni paix en Terre Sainte et pas d’engagement sincère pour mettre fin au conflit, la mort continuera à être victorieuse. Aussi longtemps qu’un régime d’occupation militaire continuera à être imposé aux habitants de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, et qu’un régime discriminatoire continuera à être appliqué à l’intérieur même de l’État d’Israël, le cycle de violence ne connaîtra pas de fin. Aussi longtemps aussi que des leaders politiques locaux privilégieront leurs intérêts personnels en ignorant les cris des veuves, des orphelins, des mères et des pères endeuillés, tous ceux qui vivent dans ce territoire vont s’étioler, comme dit le prophète Osée. Tant que la communauté internationale fuira ses responsabilités envers ce qui se passe en Israël-Palestine, on ne sortira pas de l’engrenage de cet apparemment interminable conflit.
3. Quelles sont les causes de cette violence ?
Lorsque des Palestiniens s’attaquent à des Juifs israéliens, beaucoup proposent des interprétations de ce qui les motive. Ils attribuent la violence à des idéologies palestiniennes, ou arabes ou islamiques qui rejettent Israël, les Israéliens et même les Juifs. Mais il faut commencer par analyser ces actes de violence et avant tout les replacer dans le contexte du conflit Israël-Palestine qui perdure.
On doit le redire clairement et sans équivoque : la cause fondamentale et le contexte principal de la violence est l’occupation de la Palestine, une occupation qui dure depuis cinquante-cinq ans.
La violence de l’occupation inclut l’expropriation des terres, la détention administrative, le refus d’accorder des permis de construire, les démolitions de maisons, les restrictions imposées aux déplacements, l’étouffement du développement politique, social et économique, et la poursuite du siège de la Bande de Gaza.
En particulier les tensions dans la ville Sainte de Jérusalem continuent d’aggraver la situation et de faire monter le niveau des tensions. Parmi les raisons de ces tensions, il faut citer les menaces permanentes sur le statu quo du Haram al-Sharif (connu aussi comme Mont du Temple), les restrictions étouffantes du droit d’accès aux lieux Saints (pour les chrétiens cela a encore été le cas ce dernier samedi Saint du calendrier orthodoxe, pour la cérémonie du Feu Sacré), et les revendications constantes de propriétés à Jérusalem-Est occupée menant aux évictions répétées de gens hors de leurs foyers pour donner ceux-ci à des colons juifs, tout particulièrement dans les quartiers de Sheikh Jarrah et de Silwan.
Les représailles massives et violentes des forces israéliennes de sécurité contre la famille et parfois contre tout le voisinage voire toute la ville de Palestiniens accusés d’être les auteurs d’actes de violences créent de nouveaux ressentiments, de la haine et un désir de revanche, et produisent le terreau pour de nouvelles attaques contre des Juifs israéliens. Beaucoup de ceux qui s’y livrent ont des parents ou des amis qui ont été victimes de la violence inhérente à l’occupation. De même certaines tentatives des forces israéliennes de vouloir « prévenir » de possibles nouvelles attaques ne font qu’augmenter les conditions pouvant mener à des actes de violence, de sorte que « le sang versé succède au sang versé ».
Il est absolument scandaleux que beaucoup de la violence dont sont victimes des Palestiniens provienne de colons israéliens et de leurs groupes d’autodéfense qui ont exproprié des terres palestiniennes et qui vivent tout à fait illégalement dans des territoires occupés par Israël. Dans certaines parties de la Cisjordanie, les colons contrôlent des zones entières et imposent un régime d’illégalité et de terreur aux familles palestiniennes, à leurs quartiers et à leurs villages, empêchant les habitants de se déplacer librement, de travailler leurs terres, de faire paître leurs troupeaux et tout simplement de mener une vie normale. Au lieu que leurs actes soient qualifiés de crimes ou même, dans certains cas, de terrorisme, les colons ne sont que trop souvent aidés ou même encouragés par l’armée israélienne C’est tout particulièrement le cas à Hébron et dans la zone située au sud de la ville, et aussi à Naplouse et ses environs.
En outre et bien que ce ne soit pas la première fois, le fait que des citoyens palestiniens d’Israël se livrent à des attaques contre des Juifs souligne la profonde aliénation que ressentent de nombreux Palestiniens qui vivent en Israël, dans un État dont ils sont des citoyens mais qui se définit comme un État « Juif ». Ces attaques sont un signe de désespoir face à la discrimination continue envers les Arabes en Israël-même et envers le régime d’inégalité qui leur est imposé. Ces actes sont aussi un cri de rage contre ceux qui tentent de faire disparaître l’identité palestinienne des citoyens arabes palestiniens d’Israël.
Malheureusement, aussi longtemps que les Palestiniens n’ont recours qu’à des protestations verbales ou à des actions non-violentes (quand les autorités israéliennes les autorisent à y recourir), la communauté internationale ignore les Palestiniens et donne l’impression que tout est normal, en faisant la promotion de la « normalisation » des relations avec l’État d’Israël malgré le conflit en cours. Il est triste de constater que c’est seulement quand la violence éclate que la communauté internationale se réveille et prend acte.
4. Un contexte d’injustice plus étendu
Les soi-disant « Accords d’Abraham » qui ont été formulés et triomphalement promus par l’administration Trump aux États-Unis ont certainement encore accru le sentiment de frustration et de désespoir qui est au cœur des derniers rounds de violence. Israël a maintenant signé un soi-disant accord de « paix » avec des pays avec lesquels Israël n’avait aucun conflit. Ces accords concernent des intérêts régionaux communs comme l’opposition à l’Iran et une collaboration économique et militaire. Mais ces accords ignorent entièrement le conflit réel en Israël-Palestine et les droits des Palestiniens. Pour les Palestiniens c’est ajouter l’insulte à la blessure et renforcer leur sentiment qu’aux yeux d’Israël et des puissants de la communauté internationale ils n’existent pas. Une paix réelle ne peut se faire qu’entre Israël et la Palestine.
Un autre élément du puzzle contemporain qu’il est important de prendre en compte pour comprendre le dernier round de sang versé est lié à ce qui se passe en Europe de l’Est. Dès que la Russie a envahi l’Ukraine, la communauté internationale, emmenée par les États-Unis, a condamné cette invasion, et des sanctions importantes ont été imposées par de nombreux pays dont les États-Unis, l’Union Européenne et le Royaume Uni afin de faire pression sur le régime russe pour qu’il se retire du territoire ukrainien et mette fin à son agression. Beaucoup de Palestiniens comparent ces récents évènements aux décennies de conflit qu’ils vivent dans leur propre patrie. Israël occupe le Territoire palestinien depuis 1967 et impose un régime discriminatoire d’inégalité aux Palestiniens citoyens d’Israël depuis 1948. Mais ceux qui élèvent le plus la voix pour condamner l’agression russe n’ont pas fait grand-chose pour dénoncer l’occupation et la discrimination israéliennes. Cette attitude de deux poids deux mesures n’a fait qu’aggraver la frustration et le désespoir des Palestiniens.
Conclusion : Rechercher la paix et ne pas arrêter de la poursuivre
Il y a deux millénaires et demi, le prophète Ezéchiel a élevé la voix contre les princes de son pays : « Rejetez la violence et la rapine, pratiquez le droit et la justice. Cessez vos exactions contre mon peuple » (Ézéchiel 45.9). Aujourd’hui nous demandons aux autorités d’Israël de chercher les raisons de la violence qui nous submerge tous. Répondre à la violence par la violence dans une logique de riposte sans fin n’est pas la réponse. Israël et la Palestine ont les mêmes droits : les droits à la sécurité, à la liberté, à la dignité et à l’autodétermination. La violence ne cessera pas tant que ces droits ne seront pas réalisés pour les Israéliens comme pour les Palestiniens, à égalité.
Israël est en quête de « paix » là où on ne peut pas trouver la paix. Israël recherche la paix avec les régimes de pays arabes mais pas avec le peuple de la région. La paix réelle ne sera réalisée que lorsque les Palestiniens pourront affirmer que leurs droits ont été mis en œuvre. La paix commencera lorsque les Palestiniens proclameront qu’ils ne sont plus en guerre avec les Israéliens. C’est alors seulement qu’un nouveau chapitre s’ouvrira dans la région.
C’est le psalmiste qui nous le rappelle : « Quelqu’un aime-t-il la vie ? Veut-on voir des jours heureux ? Garde ta langue du mal et tes lèvres des médisances. Évite le mal, agis bien, recherche la paix et poursuis-la ! Le Seigneur a les yeux sur les justes et l’oreille attentive à leurs cris » (Psaume 34.13-16).
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