Naïm Ateek sur la loi Etat-nation

https://drive.google.com/file/d/17msFiAxvnw-ZvRt0kjVW-n-g3EacDC5b/view?usp=sharing

Déclaration de Sabeel sur la loi israélienne
d’État-nation du peuple juif


Henry Siegman, ancien directeur national du Congrès juif américain, vient de dire : « Israël a franchi le seuil qui sépare "la seule démocratie au Proche-Orient" du seul régime d’apartheid dans le monde occidental ». Quant à nous, nous avons toujours considéré la démocratie israélienne avec beaucoup de scepticisme. Maintenant, sa loi d’État-Nation affirme son statut de régime d’apartheid.
Car le jeudi 19 juillet 2018, la Knesset israélienne [note du traducteur : le Parlement d’Israël] a voté la loi d’État-Nation avec une majorité de 62 voix contre 55. Pour ceux qui la soutiennent, elle définit Israël comme un État fort qui affirme son identité juive. Pour ceux qui s’y opposent, elle confirme Israël comme un État d’apartheid. Car il est vrai que les citoyens palestiniens d’Israël vivent sous des lois israéliennes discriminatoires depuis la création d’Israël en 1948. Ils ont toujours été traités comme des citoyens de « seconde zone », voire pire. Ce que la nouvelle loi d’État-Nation affirme, c’est que ce qu’Israël a pratiqué depuis 70 ans est maintenant entériné comme loi fondamentale. Peu de choses ont changé dans la pratique, si ce n’est que ce qui était jusqu’à présent du racisme de fait est maintenant devenu un racisme de droit. J’espère que ces implications racistes seront plus évidentes maintenant aux yeux de beaucoup, entre autres du fait que le statut de la langue arabe a été rétrogradé, ce qui est une insulte à plus de 20% de la population israélienne.
Je suis sûr que beaucoup de personnes et d’organisations se sont déjà rendu compte des problèmes inhérents à cette nouvelle loi. Ce qui me préoccupe tout particulièrement est son aspect religieux et théologique. Car la loi a des connotations religieuses qui pourraient avoir des implications politiques et religieuses plus profondes.


1.   La loi d’État-Nation commence ainsi : « La Terre d’Israël est la patrie historique du peuple juif dans laquelle a été créé l’État d’Israël. »
Qu’entendons-nous par « Terre d’Israël » ? Beaucoup pourraient ne pas se rendre compte de la signification religieuse talmudique de cette appellation. Selon le Talmud, la Terre d’Israël inclut non seulement Israël et la Palestine actuels, mais encore l’ensemble du Sinaï, la Jordanie, la Syrie, le Liban et des parties de la Turquie. En outre, dans toutes les interprétations talmudiques, la Terre d’Israël inclut aussi Chypre. (Shahak 1994)
En ne définissant pas de frontières précises, il est clair que les rédacteurs de la loi voulaient lui donner un caractère approximatif, évolutif, et ouvert à l’expansion. Il est clair, selon la formulation de la loi, que la Terre d’Israël est plus étendue que l’État d’Israël. L’État est établi sur une petite partie seulement de la Terre d’Israël.
2.    La nouvelle loi dit aussi : « Jérusalem, dans sa totalité et réunifiée, est la capitale de l’État ».
Où sont les frontières de Jérusalem ? Et que veut dire « dans sa totalité » ? Il est important de se rappeler que, selon le droit international, Jérusalem-Est fait partie de la Cisjordanie occupée et qu’elle est occupée illégalement par Israël. De même, il faut se rappeler que Jérusalem est sainte et unique, non seulement pour les juifs mais aussi pour les chrétiens et les musulmans. En l’absence de souveraineté partagée sur Jérusalem, la paix n’existera jamais. Telle qu’elle est formulée, la nouvelle loi ferme la porte à la paix. Israël doit revenir à la réalité s’il envisage sérieusement la paix au Moyen-Orient.
3.   « Le droit à l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël est réservé à la seule population juive ».
La nouvelle loi d’État-nation claque la porte au droit à l’autodétermination des Palestiniens tel qu’il est prévu par le droit international. Sans une autodétermination qui assure aux Palestiniens le droit à la liberté, à la souveraineté et à la dignité humaine, Israël ne jouira jamais de la paix et de la sécurité.
4.    « L’État sera ouvert à l’immigration juive et à l’accueil des exilés. »
L’« accueil des exilés » est un autre article de la nouvelle loi qui a des connotations religieuses et qui peut être particulièrement litigieux. Tout d’abord, il convient de rappeler que l’immigration en Israël est réservée aux seuls Juifs. Ce qui est plus contestable encore, c’est d’affirmer que les Juifs qui vivent aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde seraient en exil. Se considèrent-ils eux-mêmes comme étant en exil ? Faut-il considérer des Juifs qui ont la liberté de vivre où ils en ont envie comme étant en exil ? Les seuls exilés que je peux voir sont les réfugiés palestiniens qui, conformément au droit international, ont le « droit au retour » dans leur pays. « L’accueil des exilés » est une expression religieuse archaïque. Elle est anachronique et vide de sens, à moins qu’il ne s’agisse de la nostalgie imaginaire que pourraient ressentir certains juifs religieux. Elle est importante aussi pour les nombreux sionistes chrétiens qui croient que « l’accueil des exilés » hâterait la seconde venue du Christ. Est-ce que la majorité des Juifs occidentaux qui vivent hors d’Israël, dont de nombreux rabbins ainsi que des Juifs laïques, croient à cette terminologie religieuse archaïque et l’acceptent ?

Trois remarques pour terminer :
1.   La loi sur l’État-nation définit de façon précise un certain nombre de points dont le nom de l’État, ses symboles, sa langue, le nom de sa capitale et d’autres encore. Cependant trois points très importants ne sont pas définis :
  1. Les frontières de la Terre d’Israël.
  2. Les frontières de l’État d’Israël.
  3. Les frontières de la ville de Jérusalem.
Cela nous semble-t-il seulement bizarre, ou est-ce le signe d’implications plus inquiétantes encore ? Je suis persuadé que cela reflète des intentions sournoises et dangereuses. Comment Israël peut-il promulguer une loi fondamentale pour son État sans en définir les frontières ? Au lecteur de se faire une idée de ce que cela implique !
2.   Israël a été reçu aux Nations Unies comme État membre sur la base de sa Déclaration d’Indépendance, qui affirme entre autres que « l’État d’Israël… va promouvoir le développement du pays au profit de tous ses habitants ; il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes hébreux ; il respectera la pleine égalité sociale et politique de tous ses citoyens sans distinction de race, de croyance ou de sexe ; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture ; il protègera le caractère sacré et l’inviolabilité des sanctuaires et des lieux saints de toutes les religions, et il se consacrera à la mise en œuvre des principes de la Charte des Nations Unies. Nous… appelons les habitants arabes de l’État d’Israël à retrouver les chemins de la paix et à prendre leur part au développement de l’État, avec une citoyenneté pleine et égale et une représentation en bonne et due forme dans ses organismes et institutions, provisoires ou permanents. »
En réalité, Israël n’a jamais mis en application sa Déclaration d’Indépendance. Il n’empêche : par deux fois, les mots de « pleine égalité » y sont mentionnés. D’abord dans : « Il respectera la pleine égalité sociale et politique de tous ses citoyens… ». Et un peu plus loin, dans une référence claire aux habitants arabes de l’État, on lit : « … et à prendre leur part au développement de l’État, avec une citoyenneté pleine et égale… ».
À la lumière de ces paroles de la Déclaration d’Indépendance et à la lumière de celles de la nouvelle loi d’État-Nation, la question qu’il convient de se demander est celle-ci : La nouvelle loi a-t-elle changé le caractère de l’État d’Israël ?
Il convient de noter que la Déclaration d’Indépendance avait été écrite par des militants sionistes en grande partie laïques, alors que la récente loi d’État-Nation a été écrite par des militants sionistes en grande partie religieux. À la lumière de ce qui paraît bien être une divergence entre la Déclaration d’Indépendance et la nouvelle loi, peut-on encore considérer qu’Israël « se consacre à la mise en œuvre des principes de la Charte des Nations Unies… » ?
3.   Il convient de garder en mémoire les propos du prophète Michée (6.8) : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le Seigneur exige de toi : rien d’autre que le respect du droit, l’amour de la fidélité, et la vigilance dans ta marche avec Dieu. »
Comme êtres humains qui croient à la démocratie au service de tous, nous condamnons la nouvelle loi d’État-Nation d’Israël. Nous appelons tous nos amis à en examiner toutes les implications racistes, et à y résister par tous les moyens non-violents possibles.
Naïm Ateek, président du Conseil d’administration de Sabeel.
Jérusalem, le 7 août 2018.

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