‟Appel à l’Église protestante aux Pays-Bas ” reçu le 20/05/2021 de Kairos et Sabeel aux Pays Bas.
Chers amis de Kairos Mondial et de Sabeel,
Cinq pasteurs néerlandais de l’Église protestante aux Pays-Bas ont adressé l’appel urgent ci-dessous à la direction de leur Église pour qu’elle demande pardon aux Palestiniens comme elle l’avait fait précédemment aux Juifs des Pays-Bas, et ce pour ne pas avoir pris au sérieux les 73 années d’injustice à l’égard du peuple palestinien et toutes les souffrances qu’il endure, et aussi pour ne pas avoir répondu aux appels urgents des Églises palestiniennes.
Vous trouverez dans le document joint une brève présentation du contexte qui est à l’origine de cet appel.
Hélas, l’Église protestante n’a pas trouvé mieux que de faire une déclaration « équilibrée » en concertation avec des dirigeants juifs.
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Appel au Synode : S’il vous plaît, demandez aussi pardon au peuple palestinien !
À l’occasion de la commémoration en novembre dernier de la Kristallnacht, la « Nuit de Cristal » de 1939, le Secrétaire général de l’Église protestante aux Pays-Bas a demandé pardon à la communauté juive parce que les prédécesseurs de l’Église protestante avaient trop peu entrepris contre la persécution des Juifs. Il appelait à juste titre l’Église à combattre l’antisémitisme.
Plus tôt déjà dans la même année, le Premier Ministre Rutte avait demandé pardon pour la responsabilité du gouvernement. Et l’on entend constamment dans notre société toutes sortes d’ appels pour demander pardon pour d’autres faits encore, comme la pratique de l’esclavage dans le passé et la guerre coloniale dans les Indes néerlandaises, l’Indonésie de nos jours. Nous déclarons qu’une demande de pardon au peuple palestinien se justifie aujourd’hui. Une demande de pardon de notre Église.
Cette semaine cela fait 73 ans que l’État d’Israël existe. Un État à eux devait mettre les Juifs à l’abri de l’antisémitisme qui avait fait preuve d’une atrocité dévastatrice au cours de la seconde guerre mondiale. Il existe malheureusement un autre aspect de cette réalité : les 73 années de la Nakbah, de la « catastrophe » que la création de l’État d’Israël allait signifier pour les Palestiniens. Vivant dans une situation d’apartheid ou souffrant de l’occupation, les Palestiniens sont spoliés de leur dignité humaine. Leurs terres sont systématiquement confisquées, leur liberté de mouvement est réduite, la terreur exercée par les colons juifs reste impunie et Gaza est coupée du reste du monde.
Nous estimons que le moment est venu pour que notre Église reconnaisse qu’elle a trop peu fait pour défendre ceux qui souffrent de cette injustice. Nous estimons que les juifs, les musulmans, les chrétiens et les non-croyants ont tous la même valeur. Nous espérons que notre Église plaidera en paroles et en actes en faveur de la paix et de la justice pour tout être humain, et qu’elle combattra toute forme de discrimination, parce que Juifs et Palestiniens ont tous la même valeur.
C’est pourquoi nous, cinq pasteurs de l’Église protestante aux Pays-Bas, lui proposons la demande de pardon suivante :
Au peuple de Palestine :
Frères et sœurs,
Il y a une dette qui n’est pas prescrite. En tant qu’Église, nous voulons demander pardon à votre peuple. Pendant des siècles et sous différents régimes, votre peuple a vécu sur la terre que nous appelons « la terre de la Bible ». Vous avez très gravement souffert de la décision des grandes puissances occidentales du siècle dernier de mettre votre terre entre les mains du peuple juif, avec pour conséquence votre propre expulsion hors de cette terre. L’État d’Israël a été reconnu, avec les garanties du droit international, par les Nations Unies alors nouvellement instituées. Mais au cours des décennies qui ont suivi, d’autres parties encore de votre pays ont été occupées et même annexées, votre population a été discriminée, expulsée, privée de ses moyens d’existence. Votre peuple se trouve maintenant fragmenté, séparé et disséminé à travers le monde.
Bien qu’à titre individuel des membres de l’Église, tout comme d’autres citoyens et des hommes politiques, n’aient pas manqué de courage pour s’opposer à l’injustice qui se poursuit, nous en tant qu’Église n’y sommes pas parvenus. Nous avons proclamé notre lien irrévocable avec le peuple d’Israël, donnant ainsi l’impression que Dieu aimerait Israël davantage que le peuple palestinien. Nous avons pensé que le peuple juif répondait à sa vocation historique en prenant possession du pays pour y établir un État. Nous avons prêché que s’accomplissaient ainsi les prophéties bibliques, et avons trop souvent réduit au silence les accusations de violation du droit international. Nous avons contribué ainsi à la poursuite du péché d’occupation et d’oppression.
Pendant trop longtemps nous avons considéré les peuples arabes à travers des lunettes orientalistes. Nous n’avons pas suffisamment vu dans les chrétiens palestiniens les descendants des premiers disciples de Jésus. Nous n’avons pas suffisamment vu dans les musulmans des enfants d’Abraham. Nous ne vous avons pas témoigné toute la solidarité que vous nous avez demandée. Nous nous sommes trop peu mobilisés en faveur d’une paix juste et durable. Toute critique de l’État d’Israël a trop souvent été refusée comme s’il s’agissait d’une forme d’antisémitisme.
Nous vous assurons que notre demande de pardon n’est pas une parole vaine. Nous voulons témoigner dans nos prières que votre cri pour la justice est très important pour nous. Nous voulons nous opposer à toute représentation discriminatoire des Palestiniens et des musulmans dans nos sermons et dans notre théologie. Nous voulons renforcer nos liens avec tous ceux qui œuvrent pour la paix et la justice pour tous à Jérusalem/Al Quds même et dans tout son environnement.
Harmen Jansen, Jan den Hertog, Hans Baart, Bram Grandia, Willemien Keuning, pasteurs de l’Église protestante aux Pays-Bas et membres du groupe de théologie de Kairos et Sabeel aux Pays-Bas.
Le 13 mai 2021
Traduit par les Amis de Sabeel France
Informations sur le contexte de la proposition de demande de pardon à l’occasion des 73 années d’existence de l’État d’Israël, et sa relation avec la commémoration de la Nakbah palestinienne.
Bien avant le 15 mai 1948, le jour où l’État juif s’est lui-même proclamé, les prédécesseurs de l’Église protestante aux Pays-Bas avaient adopté une position partiale à l’égard du nouvel État. Ils ne s’étaient pas rendu compte de la politique nationaliste et néo-colonialiste qui était le moteur de la création de l’État juif. Enthousiasme et joie, nourris aussi de sentiments de honte et de culpabilité à l’égard de leurs compatriotes juifs, dominaient dans les milieux ecclésiastiques et politiques maintenant qu’une terre avait été attribuée aux Juifs, une terre où ils pourraient vivre en sécurité. On prêtait nettement moins attention aux droits politiques du peuple palestinien. Des voix juives critiques comme celles des philosophes M. Buber et H. Arendt et celle du journaliste J.L. de Haan étaient globalement ignorées tant dans les Églises que dans le monde politique. Il en est allé de même pour d’éminents théologiens qui, parfois déjà avant la seconde guerre mondiale, avaient reconnu les dangers d’un sionisme nationaliste. Cette ignorance des voix critiques au sein de l’Église est toujours actuelle.
Jusqu’à nos jours, beaucoup d’entre nous sont restés aveugles au bouleversement de la société palestinienne et des autres pays du Levant suite à la création de l’État d’Israël. Israël se comporte comme toute autre entreprise coloniale d’« implantations » : destruction de la société existante, de sa culture et de son histoire, et expulsion du plus grand nombre possible des habitants d’origine. Selon le rapport tout récent (avril 2021) de Human Rights Watch, Israël met en œuvre une politique d’apartheid. Après la deuxième guerre mondiale, le peuple palestinien n’a pas bénéficié du droit à l’autodétermination dont toute nation doit pourtant pouvoir disposer. Une telle démarche était déjà prévue dans l’infâme Déclaration Balfour de 1917. À ce jour, l’occupation, la colonisation et l’annexion de la Palestine n’ont pas rencontré de réel obstacle. Les intérêts économiques et stratégiques des grandes puissances évitent à l’État d’Israël d’être traité comme le serait tout autre État. Dans son mémorandum 2008 sur Israël-Palestine, l’Église protestante aux Pays-Bas disait se référer au droit international et aux droits humains comme cadre à l’intérieur duquel une solution devait être trouvée au conflit entre l’État d’Israël et les Palestiniens. Mais à ce jour, l’Église n’a fait montre d’aucune mise en œuvre visible d’un tel cadre de référence.
Cette position est confortée par une théologie erronée qui accorde une signification théologique particulière à l’État d’Israël, comme s’il était « le début de la rédemption » et « l’accomplissement de prophéties bibliques ». Tout comme dans le sionisme politique laïque, la Bible est considérée comme livre d’histoire du peuple juif, et des revendications politiques de l’État d’Israël se trouvent dotées de légitimité par des références bibliques. Une telle théologie a dégénéré en idéologie dans laquelle tant Juifs que Palestiniens sont considérés d’une manière pour le moins bizarre.
Une grave conséquence de l’idéologie ainsi décrite est que nous n’avons à ce jour pas été capables de traiter les Juifs et les Palestiniens sur un pied d’égalité. L’un des effets en a été que les appels que les Églises palestiniennes ne cessent de nous adresser depuis des décennies sont restés ignorés. L’Église protestante aux Pays-Bas n’a jamais consacré un débat synodal au Document Kairos de 2009. La position qui y est exprimée, selon laquelle l’occupation est un péché et que la crédibilité de l’Église est engagée dans sa réaction à cette situation, n’a pas voulue être entendue. Contrairement à la théologie sioniste, le document Kairos promeut une théologie inclusive qui n’exclut personne, ce qui n’a pas empêché qu’elle ait été qualifiée d’« antisémite » dans certains milieux d’Église. Une fois de plus, les Églises ont gardé le silence.
Depuis la seconde guerre mondiale, l’Église protestante a, tout comme ses prédécesseurs, créé toutes sortes de comités et d’organismes et mandaté toutes sortes de spécialistes autour du thème « Église et Israël » en vue de se consacrer aux relations avec le judaïsme, le peuple juif et l’État d’Israël. ‟Église et Israël” a, à ce jour, largement ignoré le vécu et les points de vue des Églises palestiniennes qui, depuis des siècles, ont coexisté avec Israël dans toute la variété de ses acceptions ainsi qu’avec des communautés de croyants musulmans. Pendant longtemps, ce sont des façons de penser « orientalistes » qui ont dominé, des orientations qui considéraient la culture du Levant comme primitive, inférieure dans sa pratique religieuse et moins civilisée. Une théologie sioniste chrétienne qui a recours à des textes bibliques pour légitimer la politique d’apartheid de l’État d’Israël continue à marquer de son empreinte tant les orientations que les actions des Églises. L’accusation portée par les Palestiniens que la théologie du sionisme chrétien est le logiciel qui soutient la mécanique de l’occupation n’a pas encore été confrontée à une attitude d’autocritique de la part du monde théologique et ecclésial.
Le mémorandum Israël-Palestine de 2008 est toujours le cadre de référence dans lequel se situe l’Église protestante aux Pays-Bas pour décider de ses actions liées au conflit entre Israël et les Palestiniens. La critique fondamentale tant du contenu du mémorandum que de sa mise en œuvre pratique n’a à ce jour toujours pas été entendue. L’Église accorde bien un soutien diaconal à des Églises, à des projets et à des groupes de dialogue palestiniens, mais elle n’élabore pas de principes fondamentaux sur lesquels construire une politique, elle ne reconnaît pas que ce sont le droit international et les droits humains qui doivent fournir le cadre à travers lequel une solution au conflit pourra être trouvée, et elle ne traduit pas une telle option en actes et en protestation prophétique. L’appel répété des Palestinien à « dire la vérité et à pratiquer la justice » n’a à ce jour pas été entendu par l’Église protestante aux Pays-Bas. À nos yeux, ce silence et ce détournement du regard n’est rien d’autre qu’une attitude de complicité.
Traduit par les Amis de Sabeel France
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