Selon un théologien de Bethléem, Netanyahou est le roi Hérode de notre temps

 Le chant des anges aux bergers de Bethléem était un message de résistance, nous dit Mitri Raheb, un ancien pasteur de Bethléem. Quand les Danois chantent la paix de Noël, ils feraient bien de se souvenir qu’il n’y a pas de paix à l’endroit où Jésus est né.

par Jens From Lyng, journaliste – Dans Kristeligt Dagblad 21 décembre 2023.


« Le roi Hérode était le Benjamin Netanyahou (actuel Premier ministre d’Israël) du passé, qui dans sa soif de sang a exigé que tous les enfants mâles soient tués parce qu’il avait peur de perdre son pouvoir », nous dit Mitri Raheb, qui a été pasteur à Bethléem. Photo: Maya Alleruzzo/AP/Ritzau Scanpix.

Il y a plus de tristesse de Noël que de paix de Noël ces jours-ci dans la ville de Bethléem où Jésus est né selon les évangiles. La ville qui se trouve en Cisjordanie occupée, à plus de 75 kilomètres du sud d'Israël frappé par un attentat terroriste le 7 octobre, en ressent les effets encore aujourd’hui.

La population palestinienne de la ville où Jésus est né n’est pas seulement témoin de ce que vivent ses concitoyens de Gaza bombardés et obligés d’abandonner leurs maisons, elle est elle-même, économiquement, victime de la réaction d'Israël. À Bethléem, la période de Noël est d’habitude la plus active de l’année, car le tourisme représente une part importante de l'économie de la ville. Mais à cause des routes bloquées et de la recrudescence de violence entre colons israéliens et Palestiniens de Cisjordanie, les touristes sont absents. Et les difficultés dues au chômage ont encore été exacerbées parce qu’Israël a annulé, suite à l'attaque, 130 000 permis de travail de Palestiniens.

Il n'y a pas beaucoup de raisons de se réjouir dans la Cité de David, et cela peut sembler paradoxal aux Danois qui chantent des chants de Noël où il est question de paix et qui associent volontiers la fête à un sentiment de joie et de sécurité », nous dit Mitri Raheb, le théologien palestinien qui a publié le plus grand nombre de livres et d'articles et qui était jusqu'en 2017 pasteur à l'église luthérienne de Noël à Bethléem : « Cela fait 75 ans que la Palestine n'a pas connu la paix, ce n'est rien de nouveau pour nous. Mais beaucoup de Danois pourraient être surpris par cela, nous dit-il, car dans la plupart des pays occidentaux Noël est associé à la paix ».

Noël, c'est résister

Le message de Noël n'est pas si simple que cela, estime Mitri Raheb, qui est aujourd'hui président de l'université Dar al-Kalima de Bethléem qu'il a lui-même fondée. Les gens comprennent souvent mal un passage important de l'évangile de Noël, estime-t-il : « Quand les anges ont chanté « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour les hommes, ses bien-aimés » aux bergers qui se trouvaient là dans les champs, c'était en fait un message de résistance. Car c’est à Dieu que le chant rend gloire, et non à César ou à l'empire avec toutes ses forces militaires. Non, c’est à Dieu que nous rendons gloire à Dieu ! Pas à un empire construit sur l'oppression militaire, mais à un empire construit sur la dignité, l'égalité et la justice » nous dit-il, sans cacher qu'il considère l'État d'Israël comme le pendant moderne de l'Empire romain du temps de l'évangile de Noël.

Ces deux derniers mois ont été durs pour Mitri Raheb, qui connaît plusieurs chrétiens dans la bande de Gaza. Ils ne sont plus qu'un millier aujourd'hui, et plusieurs d'entre eux ont été tués pendant la guerre, soit par les frappes aériennes israéliennes, soit parce qu'ils n'avaient pas accès aux médicaments dont ils avaient besoin. Plusieurs d’entre eux ont pu quitter le territoire bloqué parce qu’ils avaient des passeports internationaux. Pendant ce temps, plusieurs bâtiments chrétiens ont été touchés, une église orthodoxe grecque entre autres. Dans des moments comme ceux-ci, il n’est pas évident d’apporter un message positif. En solidarité avec les Palestiniens de Gaza, toutes les festivités de Noël ont été annulées à Bethléem. Si Mitri Raheb avait à faire une prédication de Noël, il expliciterait les similitudes qu’il voit entre l’évangile de Noël et ce que vivent des Palestiniens aujourd’hui.

« L’évangile de Noël est dans son essence une histoire palestinienne. Et cette histoire n’a rien à voir avec le Noël commercial tel que vous pouvez le trouver au Danemark, par exemple. Il n’a rien à voir avec Jingle Bells et toutes les chansons classiques associées à Noël » nous dit-il, et il se met à énumérer les similitudes qu’il voit entre Joseph et Marie d’une part, et les Palestiniens de Gaza aujourd’hui d’autre part : « Le récit de la naissance de Jésus parle d’une famille juive palestinienne qui, sur ordre d’une puissance occupante, doit quitter le nord de la Palestine, Nazareth plus précisément, pour se rendre dans le sud de la Palestine, à Bethléem. C’est exactement ce qui s’est passé à Gaza, où des centaines de milliers de gens ont dû fuir vers le sud, y compris des femmes enceintes comme Marie. Et tout comme Joseph et Marie n’ont pu trouver d’hébergement dans aucun des hôtels, beaucoup de Gazaouis se retrouvent aujourd’hui déplacés sans nulle part où aller. »

Où alors y aurait-il de l’espoir dans ce sermon de Noël ?

« L’espoir, c’est que l’enfant survit, comme dans l’évangile de Noël. Après tout, le roi Hérode était le Benjamin Netanyahou du passé qui, dans sa soif de sang, a exigé que tous les enfants mâles soient tués parce qu’il avait peur de perdre son pouvoir. Mais il n’a pas réussi, et bien que l’enfant Jésus ait été exilé alors, il est revenu plus tard et a été le messager de la paix. Il nous a promis que le royaume de Dieu ne sera pas construit sur le pouvoir et l’oppression, mais sur la justice, l’égalité et la dignité. »

Si Netanyahou est le sanguinaire roi Hérode, qui donc est le Hamas dans ce récit ?

« Je ne veux pas comparer le Hamas au roi Hérode, parce que ce n’est pas lui qui représente l’empire. Je comparerais le Hamas aux Zélotes, ce groupe de résistants juifs fanatiques de l’époque qui ont essayé de combattre le pouvoir romain par la violence. Jésus a pris ses distances d’avec les zélotes quand il a dit à son disciple Pierre que Tous ceux qui prendront l’épée seront tués par l’épée. »

Une paix sans fanatiques

Il n'y a pas beaucoup d'espoir chez les Palestiniens ces jours-ci, mais peut-être que la guerre qui se joue en ce moment amènera tant les Israéliens que la communauté internationale à changer de cap, espère Mitri Raheb. Il souligne que le Premier ministre Netanyahou a été un désastre pour la possibilité d'une solution à deux États, car il a soutenu l'expansion des colonies en Cisjordanie tout en permettant au Hamas de s'implanter à Gaza. L'avenir politique du Premier ministre est en jeu après l'attaque terroriste, mais quelle est la responsabilité des Palestiniens pour instaurer la paix ? Certains ont appelé les Palestiniens à faire leur mea culpa et à condamner plus fermement une terreur qui n'a pas éclaté le 7 octobre seulement, mais qui existe depuis de nombreuses années, qui remonte même à plus loin que la fondation d'Israël. « "Chacun doit participer à la construction de la paix, nous dit Mitri Raheb, c’est évident. Il est important de relancer l'OLP (l’Organisation pour la Libération de la Palestine), de lui donner du sang neuf avec des plus jeunes qui pourront défendre sa cause. Mais je dirais aussi qu'il ne s'agit pas seulement de condamner le terrorisme. La communauté internationale demande toujours aux Palestiniens de condamner le Hamas, mais elle ne demande jamais aux politiciens israéliens de condamner les colonies en Cisjordanie ou la guerre à Gaza. »

La paix est-elle possible, et peut-il y avoir une solution à deux États tant qu'une organisation comme le Hamas n'aura pas été vaincue ?

« Il y a une question plus importante encore : Peut-il y avoir la paix aussi longtemps que des racistes sont au pouvoir au sein du gouvernement israélien ? Je n'aime pas le mot « vaincu ». C'est un appel à tuer des gens, et l'Occident n'a que trop voulu diaboliser ceux qui habitent au Moyen-Orient. Il l'a fait avec Saddam Hussein ; personnellement je ne l'ai pas aimé, mais regardez où on en est arrivé. Et on a fait la même chose avec Bachar el-Assad en Syrie. Cela a mené à un désastre. »

« En fin de compte, la paix est le meilleur moyen de vaincre les extrémistes », ajoute Mitri Raheb. La disparition du Hamas n'est pas une condition pour la paix. Mais si la paix devient réelle dans la région et si la liberté devient réelle pour les Palestiniens, les fanatiques des deux camps s'en trouveront affaiblis, estime le pasteur. Il espère que les Danois penseront à cela quand ils se rendront à l'église dans quelques jours pour chanter la paix de Noël.

« Et j'espère qu'ils se souviendront alors que Bethléem n'est pas une ville imaginaire quelque part dans le ciel, mais que c'est une ville réelle en Palestine, où le christianisme a vu le jour. Quand donc vous chanterez la paix, il est bon que vous sachiez qu'il n'y a pas de paix en ce lieu. Jésus a dit : « Heureux ceux qui font œuvre de paix ». Nous avons besoin de gens qui sont prêts à aider à construire la paix, et en ce domaine le gouvernement danois pourra faire le premier pas. »

Mitri Raheb, né en 1962, est président et fondateur de l’université Dar al Kalima à Bethléem, et aussi de la fondation Diyar qui est à la fois une école, un centre culturel et une académie artistique. Il a été pasteur de l’église luthérienne de Noël à Bethléem en Cisjordanie de 1987 à 2007. Ila publié plusieurs livres, et certains d’entre eux ont été traduits en danois, en anglais, en allemand…. En 2015, il a reçu le prix suédois Olof Palme pour son engagement en faveur de la coexistence et contre l’occupation israélienne. Il est marié et père de deux enfants.


Traduit par les Amis de Sabeel France à partir d’une traduction anglaise de l’original danois.

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