Interview de Munther Isaac, par le président des Amis de Sabeel France, le 20 mars 2024

Comment est la vie au quotidien ?

Bethléem est actuellement assiégée et notre accès à Jérusalem a été coupé. Nous hésitons à quitter la ville par peur de la violence des colons, aggravée par les restrictions renforcées aux points de contrôle. Le déclin du tourisme a entraîné une perte de revenus pour de nombreuses familles. Même si ces défis sont importants, il est crucial de maintenir notre attention sur Gaza, où se déroule une crise humanitaire. La situation là-bas exige toute notre attention, car elle représente une crise plus grave, soulignant la nécessité d’efforts concertés pour résoudre les difficultés persistantes à Bethléem et à Gaza.

Comment les gens se sentent-ils et réagissent-ils face à tout ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie ?

Nous sommes remplis de frustration et de colère face à la durée prolongée de cette guerre. Il existe une crainte omniprésente que le même sort puisse arriver à Bethléem. Un sentiment de désespoir persiste parmi ceux qui ont choisi de partir, mais un puissant esprit de résilience prévaut parmi ceux qui reconnaissent que la défaite n’est pas une option. Malgré les défis, un effort collectif est en cours pour se rassembler et se soutenir mutuellement, notamment sur le plan économique, notamment en Cisjordanie.

Qu’en est-il dans les camps de réfugiés à Bethléem et aux alentours ?

Il y a des incursions presque quotidiennes de Tsahal dans les camps. De nombreux jeunes hommes et femmes ont été tués dans ces camps de réfugiés. Plus l'espoir dans une solution pacifique diminue, plus les jeunes hommes optent pour la résistance armée. Les camps de réfugiés ne sont plus sûrs. Désormais, il est impossible de séparer les deux entités, car elles font désormais partie intégrante de la municipalité de Bethléem. Dans les écoles luthériennes, de nombreux élèves sont des réfugiés et ils sont traités avec le même respect et la même égalité que tout autre élève. La principale distinction entre les réfugiés et les résidents de Bethléem réside dans leur engagement inébranlable en faveur du droit au retour.

Est-il encore possible de se déplacer ?

Actuellement, franchir les points de contrôle est devenu de plus en plus difficile en raison des restrictions renforcées, des retards fréquents et des fermetures occasionnelles inopinées. Pour ajouter aux difficultés, du 7 octobre à la mi-février, la principale route reliant Bethléem à Jérusalem et Hébron était totalement fermée aux voitures. Même si le passage est théoriquement possible, il est loin d’être garanti. Malheureusement, la majorité des Palestiniens, moi y compris, se sont vu refuser l’autorisation de se rendre à Jérusalem pour travailler ou prier pendant cette période.

Comment réagissent les membres de la paroisse ?

Nous sommes profondément troublés, attristés, en colère et affligés. Plusieurs membres de notre paroisse de Beit Sahour ont des liens familiaux étroits à Gaza, ce qui renforce leurs inquiétudes. Ils vivent dans une peur constante depuis cinq mois, s'inquiétant du bien-être de leurs proches à Gaza. Tragiquement, une famille a perdu trois membres, dont un a succombé au manque de médicaments actuellement disponibles à Gaza. L’impact n’est pas seulement physique mais aussi spirituel et psychologique, aggravé par les pertes d’emplois dues au déclin du tourisme. Beaucoup se sentent abandonnés et la nature prolongée du génocide en cours intensifie un sentiment démoralisant. Cela ajoute à la détresse que le monde, apparemment indifférent, ne reconnaisse pas les Palestiniens comme égaux, perpétuant ainsi un sentiment d’inégalité et d’injustice.

L'avenir de Gaza.

À l’heure actuelle, la question cruciale reste sans réponse. Le principal défi réside dans le déplacement des individus qui ont perdu leur logement et se retrouvent sans abri. Cela soulève la question cruciale de savoir si le monde fournira des logements temporaires pendant que Gaza est en reconstruction. Au sein de la communauté chrétienne, il existe un désir répandu de quitter Gaza en raison du traumatisme subi, car beaucoup veulent simplement échapper à ce qui ressemble à un enfer. Cependant, il existe un sentiment potentiel de méfiance à l’égard des modalités de logement temporaire, soulignant la nécessité de prendre des mesures immédiates au-delà des solutions temporaires. Garantir un accès rapide aux individus pour reconstruire leurs maisons est primordial pour leur rétablissement à long terme.

Relation avec les Israéliens

Ils fonctionnent comme nos occupants, et nos interactions avec eux se limitent principalement à des rencontres avec des soldats dans des bases militaires et à des affrontements avec des colons violents. Israël considère les Palestiniens comme une menace géographique et a pris des mesures pour nous déplacer au fil des années. L’idée est que ce conflit en cours est enraciné dans la peur, et que l’un de ses principaux objectifs est d’intimider les Palestiniens pour qu’ils quittent leurs foyers.

Quel type de relations entretenez-vous avec les pays voisins ?

Les connexions sont limitées et nous n'avons pas d'accès aux pays voisins, à l'exception de la Jordanie, qui partage une connexion au sein de notre même paroisse.

Coopération (entre chrétiens et musulmans)Les chrétiens et les musulmans échangent-ils aussi sur des sujets théologiques et politiques ?

Nous sommes un peuple uni. Il ne s’agit pas uniquement d’une question palestinienne musulmane ou palestinienne chrétienne ; c'est une préoccupation pour l'ensemble de la population palestinienne. Ensemble, nous nous engageons dans des efforts communs, fréquentons les mêmes écoles et collaborons en tant que partenaires commerciaux. Pour provoquer un véritable changement, nous devons reconnaître que celui-ci ne se limite pas à une affiliation religieuse spécifique mais englobe la lutte collective de tous les Palestiniens. Plusieurs initiatives interconfessionnelles visent à renforcer notre voix collective, mais, comme mentionné précédemment, cette unité se manifeste naturellement dans nos établissements d'enseignement et nos quartiers communs.

Qu'attendez-vous des autres chrétiens du monde entier Quel message aimeriez-vous nous transmettre dans la situation actuelle ?

Nous les exhortons à utiliser leur voix et à maintenir notre confiance en disant la vérité sur la situation, en la qualifiant sans équivoque de génocide. Nous les implorons de plaider en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et, surtout, de faire pression pour un accès urgent à l’aide humanitaire et à la nourriture, compte tenu des besoins aigus et pressants. Il est essentiel que les Églises fassent pression sur les dirigeants politiques pour mettre fin à ce génocide. Un examen critique de leurs théologies s’impose, en s’interrogeant sur les facteurs qui ont conduit les Églises à garder le silence et à s’abstenir de s’exprimer.

Nous vous implorons d'élever la voix. Votre plaidoyer est crucial pour mettre fin à ce génocide. Au-delà des expressions de sympathie et des prières pour la paix, nous vous exhortons à passer à l’action et au plaidoyer, et à montrer votre engagement en faveur d’une solidarité efficace. Le temps des simples mots est révolu ; le moment est venu de lancer un appel retentissant à l’action en faveur d’un arrêt immédiat de ce génocide. Nous vous invitons à nous soutenir dans une solidarité engagée et coûteuse. Ensemble, mobilisons-nous pour une paix juste et exigeons que les responsables des crimes de guerre et de la perpétuation de l’occupation aient à rendre des comptes. Une paix véritable ne sera possible que lorsque nous nous engageons activement et sincèrement pour mettre fin à l’occupation.


Interview traduite de l'anglais par les Amis de Sabeel France

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