Rencontre par visioconférence avec le Dr Abdelfattah Abusrour, dimanche 28/11/2021
Sujet : Les camps de réfugiés en Palestine et les activités organisées dans ces camps, notamment par le groupe Al Rowwad pour la Culture et les Arts.
Le Dr Abdelfattah Abusrour vit dans le camp de réfugiés d’Aïda à Bethleem. Il y a développé le Groupe Al Rowwad pour la culture et les arts dans le but de lutter contre le désespoir qui guette toujours les habitants de ces camps.
En introduction, Ernest Reichert rappelle l’exode en 1948 de 750 000 à 800 000 Palestiniens qui vivent jusqu’à nos jours dans des camps en Cisjordanie, à Gaza (où ils constituent les 2/3 de la population), au Liban, en Syrie, en Jordanie... À Bethléem par exemple il y a 3 camps de réfugiés, et la ville est entourée de toujours plus de colonies de peuplement juives.
Le Dr Abdelfattah Abusrour se présente :
Il est le premier des 11 générations qui sont nommées dans la version longue de son nom (qu’il nous fait écouter) à être né dans un camp de réfugiés, plus précisément celui d’Aïda qui a été établi en 1948 à Bethléem. 59 camps sont alors établis sur des terrains loués et gérés par l’UNRWA : l’Agence des Nations Unies d’aide et de travail en faveur des réfugiés palestiniens au Proche Orient, suite à la partition de la Palestine décrétée par une résolution de l’ONU …sans avoir demandé l’avis de la population locale. Cette résolution est l’aboutissement d’un processus qui avait été mis en route en 1917 par la France et la Grande Bretagne et qui s’est exprimée par la Déclaration Balfour. L’action de bandes armées et des forces armées sionistes ont alors produit la tragédie palestinienne avec un grand déplacement de populations, la destruction de 534 villages où habitaient 70% de la population palestinienne, et l’établissement de camps de réfugiés. Celui d’Aïda se situe au N-O de Bethléem, à 1,5 km de l’église de la Nativité sur un terrain de 4 ha loué pour 99 ans. 6 000 réfugiés y vivent, 2/3 d’entre eux ont moins de 24 ans. Les gens ont d’abord été logés sous des tentes, puis en 1956-57 on a construit des « abris » (shelters) : des pièces de 9 m² par famille avec des murs de 7 cm d’épaisseur, constructions conçues comme devant être temporaires. Dans les années 1970-1980, pour vivre avec plus de dignité, les familles, qui s’étaient agrandies, ont construit, le plus souvent en hauteur parce qu’il n’y avait pas de possibilités d’extension horizontale. 63 ans plus tard le camp est toujours là. Ceux qui en ont les moyens peuvent partir et habiter ailleurs avec les mêmes droits, mais dans le camp on vit sous la protection de l’ONU alors qu’en Jordanie, au Liban et en Syrie les réfugiés sont les « hôtes » des autorités locales.
La création du Centre Al Rowwad.
Le Dr Abdelfattah Abusrour a vécu 9 ans en France et y a obtenu un doctorat en génie biologique et médical. Il y a aussi fait une formation artistique : peinture, théâtre, photo... En 1998 il a fondé le Centre Al Rowwad pour aider les jeunes à résister à travers les arts et leur donner ainsi de l’espoir et une raison de vivre pour servir leur pays, au lieu de vouloir mourir pour le servir. C’était aussi une manière de dire que la cause palestinienne est une cause politique et non une cause simplement humanitaire.
Avec des partenaires, il veut aider les gens à vivre dans la dignité. Il a commencé avec le théâtre, moyen idéal pour construire la paix en soi, être honnête avec soi-même. D’abord avec les enfants au moment de la 2ème intifada (à partir de 2000), puis avec les jeunes, les femmes… Se sont ajouté la danse, la musique, la photo et la vidéo. Ainsi s’est créée une résistance mobile qui circulait en bus dans toutes les villes et villages de la Cisjordanie. Les habitants se montraient ainsi entre eux, et montraient vers l’extérieur qui ils sont. Des jeux éducatifs distrayants ont également été proposés.
Petit à petit ils ont aussi pu aller à l’extérieur de la Palestine. Des tournées internationales ont permis de montrer aux jeunes une vie normale ailleurs, et aussi de constater les similarités et les différences de vie qui enrichissent les êtres humains qui, partout, partagent et défendent des valeurs communes de liberté, de fraternité, de justice, de paix, d’amour... Tournées internationales et expositions sur place donnent des possibilités d’épanouissement dans un esprit d’inclusion. Tout le monde peut en bénéficier. Abdelfattah rappelle que la Palestine a toujours été une terre d’accueil et d’inclusion, et non pas d’exclusion. Ce n’est pas par les partis politiques que l’on peut arriver à cette inclusion. Ils se réclament tous de la Palestine, mais elle n’est le monopole de personne. L’exclusion est une notion raciste qui ne colle pas à l’histoire de la Palestine.
Il faut dire que le droit au retour est un droit légitime, pas du tout impossible mais réaliste au contraire : 80 % des villages détruits en 1948 sont encore des espaces vides. Il faut donc chercher des solutions, et comprendre que les gens veulent que l’injustice cesse.
« On ne peut pas séparer la culture de la politique, mais ce que nous voulons c’est que les enfants grandissent et construisent l’avenir de la Palestine, et non qu’ils meurent sous les balles. » Le choix des arts met tout le monde sur un pied d’égalité. Si quelque chose nous touche, on va l’aimer, cela permet de construire des ponts et donne des possibilités d’échanges. Au lieu d’attendre des miracles, il faut créer nous-mêmes des miracles. Il est très important de faire savoir à nos enfants qu’ils ne sont pas oubliés. « Nous n’avons pas le luxe du désespoir ».
Ce que nous faisons est un combat pour la justice et pour le droit, pour l’égalité, la fraternité et l’application de droits censés protéger l’être humain.
Le Centre Al Rowwad :
Il est composé de 6 départements :
- les arts (théâtre, danse, musique et chants).
- les images pour la vie : photo, vidéo, cinéma.
- l’éducation (soutien scolaire).
- les femmes. Abdelfattah Abusrour redit à plusieurs reprises que les femmes sont les actrices majeures de tout changement.
- santé et environnement : apprentissage et sensibilisation aux besoins sanitaires, notamment dans la lutte anti-covid-19, fourniture de matériel, mise à disposition du local, de repas et de matériel. Montrer les gens dans leur force et non dans leur faiblesse.
- formation professionnelle : menuiserie, histoire culturelle de la Palestine...
3 projets en cours :
- un local d’accueil (« guest house »).
- un centre médiatique.
- extension du bâtiment notamment pour agrandir la cuisine et avoir plus de place pour les spectacles.
Le Centre décerne des diplômes en menuiserie et en restauration.
Le Dr Abdelfattah Abusrour conclut et nous remercie avec le discours de Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, pour l’hospitalité que nous lui offrons ce soir et qui le touche beaucoup :
« Et que
faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant,
prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un
tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper
par ruse au lieu de s'élever par force ?
Non, merci !
Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ?
se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres
d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas
sinistre ?
Non, merci ! Déjeuner, chaque jour, d'un
crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une
peau
Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient
sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?...
Non,
merci ! D'une main flatter la chèvre au cou
Cependant que,
de l'autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir
de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque
barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en
giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et
naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des
soupirs de vieilles dames ?…..
Non, merci ! non,
merci ! non, merci ! Mais... chanter,
Rêver, rire,
passer, être seul, être libre... »
(33 :30)
Ernest Reichert remercie le Dr Abdelfattah Abusrour, impressionné par sa volonté de résister et de redonner de l’espoir, et par son souci constant d’inclusion et sa lutte contre toute forme d’exclusion.
Questions adressées au Dr Abdelfattah Abusrour par l’auditoire :
- Comment rencontrer des gens et les intéresser au travail du Centre Al Rowwad :
Il y a 3 manières de rencontrer les gens : par les écoles au début de chaque année scolaire, par les parents, par le bouche à oreille. Un partenariat existe avec le ministère palestinien de l’Éducation et de la Culture, par exemple sur la sécurité numérique. La formation se fait dans les écoles, mais il y a aussi la formation « tech-mobile » très demandée. Elle se fait dans les écoles, avec les enfants et les professeurs.
En 1 an il y a eu 300 activités dans plus de 250 endroits de toute la Cisjordanie.
Un programme d’investissement dans les droits de l’homme est développé avec 40 organisations dans les 9 gouvernorats palestiniens (y compris Gaza), et aussi dans un camp de réfugiés au Liban (par zoom)…
Il y a également des bourses pour des étudiants à l’université (selon l’argent disponible)...
Donc : des méthodes variées.
- La violence : Comment la gérez-vous ? :
Il existe plusieurs types de violence face à celle imposée par l’oppression et l’occupation. On peut faire des manifestations culturelles, …ou lancer des pierres, ou se faire exploser... 99 % des Palestiniens n’ont jamais porté d’arme dans leur vie. Le contexte familial fait que beaucoup de problèmes sont résolus en interne.
La cause majeure de violence c’est l’occupation, qui entraîne toute une chaîne de violences. Il est donc important de donner les moyens de dire ce que l’on veut exprimer : par la parole, l’image, le texte, et non par un moyen violent. Abdelfattah donne toute une série d’exemples. Les fruits sont là, mais toujours dans un contexte d’occupation car celle-ci intervient 24h/24 dans tout ce que l’on fait.
Il y a la violence visible et la violence non-visible qui peut désunir des familles.
On veut avoir la possibilité de vivre sous le même toit, de voyager, de visiter sa famille.
Ne pas pouvoir le faire augmente la violence interne.
Nous voulons colorer la vie pour que les jeunes aient envie de créer un changement positif à long terme, sans attendre que d’autres le fassent pour nous.
- Quels sont les contacts avec les Israéliens anticolonialistes ?
Oui, dit Abdelfattah, il y a des Israéliens merveilleux. Mais le problème n’est pas là, entre les gens : le problème c’est la différence de droits entre Israéliens et Palestiniens ; le problème c’est l’exclusion en Israël-même, pour les 20 % d’Arabes de la population israélienne. Il faudrait donc que ces merveilleux Israéliens fassent le travail en Israël avant de le faire avec nous : travailler à abattre les colonies, le mur d’exclusion, les lois d’apartheid... !
« D’un autre côté nous travaillons avec des juifs américains, français… Le problème n’est pas celui d’un contexte religieux, mais du contexte politique. Il est illusoire de croire que si tout le monde s’assoit ensemble, tout sera résolu ! » (49 :50)
- Comment voyez-vous le futur ?
Comment envisager le futur avec des leaders mondiaux sans charisme et qui n’ont pas la volonté de faire respecter le droit international, ? Nous disons que l’injustice et l’oppression ne domineront pas le monde. Les Israéliens comme d’autres occupants finiront par mettre fin à leur occupation. Aucun pays ne peut vivre dans la dictature et l’oppression.
Je crois que même Dieu ne peut pas accepter la domination par l’injustice ; je suis confiant dans un avenir d’humanité et de justice.
Si on attend un résultat à travers les hommes politiques, on en sera encore là dans plusieurs siècles. Chacun de nous est un acteur de changement. Il faut faire des choix, ne pas être complice de l’injustice et de l’oppression par le silence. Sinon l’oppression viendra aussi sur les « silencieux ». Nous ne pouvons pas dissocier notre propre souffrance de la souffrance des autres. (54 :30)
- Pourquoi le Fatah est-il si silencieux ?
Le Fatah est un parti dans lequel coexistent beaucoup d’options : une partie est avec le Président en faveur de négociations, une partie est armée. Il n’est pas acceptable que le Président laisse traiter la lutte armée de « terrorisme ». Une négociation sans reconnaissance de la légitimité palestinienne ne pourra pas aboutir, ce serait de la collaboration (Abdelfattah donne comme exemple le régime de Vichy en France pendant la 2ème guerre mondiale). Fatah et Hamas sont dans le combat, les autres partis sont peu visibles.
Le fait que certains pays arabes ont normalisé leurs relations avec Israël montre bien que la politique est parfois bien hypocrite et complice avec l’injustice ! (59 :19)
- Comment mieux faire connaître la politique palestinienne de résistance non-violente ?
- Venir nous voir en Palestine. Vous êtes les bienvenus.
- Nous inviter pour parler dans des conférences.
- Organiser des tournées et des spectacles pour des gens comme nous et d’autres groupes.
- Organiser des festivals de films, favoriser les échanges entre groupes français et groupes palestiniens.
- Soutenir nos programmes et en parler.
- Créer des échanges…
Liens pour rester au courant :
Youtube : Alrowwad cultural and Arts Society : https://youtube.com/c/AlrowwadCulturalArtsSociety
Facebook/instagram : @Alrowwadorg
Website : www.alrowwad.org
Email : info@alrowwad.org
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