Appel de Kairos Global for Justice aux Eglises d'Europe, Noël 2024

 Appel aux Églises d’Europe : Pourquoi gardez-vous le silence face au génocide ?

Heureux ceux qui observent la justice, et qui font en tout temps ce qui est juste.
Psaume 106.3.

Les soussignés, membres de la coalition mondiale Kairos pour la justice, vous envoient cette lettre en ce temps où nous nous souvenons de l’intervention de Dieu dans l’histoire pour apporter la justice et la paix à toutes les nations et à la création entière. Le message de l’envoyé céleste aux bergers qui souffraient sous le joug de l’occupation romaine était bien : « Paix sur la terre ! » (Luc 2.14). Et pourtant, là-même où la paix a  été promise, c’est une catastrophe qui est en train de s’étendre, car ce que le gouvernement israélien met en place contre les Palestiniens est une tentative d’établir une fausse paix à travers l’élimination de ceux-ci, en se servant de ce qu’a fait le Hamas le 7 octobre 2023 – et qui, de toute évidence, était une violation du droit humanitaire international – comme d’un prétexte pour un génocide.

En effet de nombreuses institutions judiciaires internationales, dont la Cour internationale de justice, sont arrivées à la conclusion que l’accusation de génocide envers Israël était bien « plausible ». Et d’éminentes organisations de défense des droits de l’homme comme le University Network of Human Rights, Amnesty International, et le Lemkin Institute ont fourni une documentation détaillée sur l’intention et l’action génocidaires d’Israël dans la bande de Gaza. De même, de nombreux spécialistes respectés du génocide, dont les historiens israéliens du génocide et de l'holocauste Omar Bartov et Amos Goldberg, ont démontré de manière irréfutable que les actions du gouvernement israélien à Gaza constituent des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, et un génocide. De leur côté, Kairos Palestine et Kairos mondial pour la justice n’ont cessé d’appeler les Églises du monde entier à reconnaître la souffrance du peuple palestinien et la réalité de l’apartheid dont il est victime.

Comme chrétiens qui partageons des valeurs d'égalité et de compassion et comme citoyens d'États qui prétendent défendre les principes des droits de l'homme, nous avons l'obligation morale de prendre des mesures fermes et directes quand ces principes sont violés. C’est pourquoi notre obligation d’être témoins du Christ exige de nos institutions d’Églises qu’elles déclarent un status confessionis face à des pratiques qui violent les principes fondamentaux de notre foi. C’est l'intégrité-même de notre foi, la cause du Christ qui sont en jeu. Comme l'a dit Dietrich Bonhoeffer : « Remettre des décisions à plus tard ou éviter de les prendre pourrait bien être un péché plus grand encore que de prendre de mauvaises décisions pour des raisons de foi ou d’amour... Dans ce cas précis, c'est vraiment maintenant qu’il nous faut agir, sinon ce sera jamais. Car « trop tard » veut dire « jamais »... Secouons donc la peur que nous fait ce monde. C’est la cause-même du Christ qui est en jeu. Serons-nous trouvés en train de dormir ? »

Les membres de Kairos Palestine et de la coalition mondiale Kairos pour la justice se sont adressés à plusieurs reprises déjà aux Églises du monde entier, à commencer par « Un moment de vérité » en 2009, et plus tard par le document « Un cri pour de l’espoir » en 2020. Les deux mouvements ont appelé dans une situation d’urgence de plus en plus grande et avec une grande clarté théologique à un témoignage et à une solidarité fermes avec la lutte des Palestiniens pour la liberté et la justice. Mais peu nombreuses sont à ce jour les Églises qui ont donné une réponse claire. Nous sommes reconnaissants aux quelques Églises qui, en Europe, aux États-Unis et en Afrique du Sud ont fait exception à l’attitude majoritaire et ont clairement et courageusement pris position avec une grande clarté théologique. Nous citons comme exemple l’Église unie du Christ aux États-Unis qui a publié une Confession de foi sur le modèle de la Déclaration théologique de Barmen contre le national-socialisme dans l’Église et la société. Voici ce que déclare le premier article de la Déclaration de l’Église unie du Christ :

Nous affirmons que l’oppression du peuple palestinien qui se poursuit depuis plus de cinquante ans reste une question d’urgence théologique et constitue un péché en ce qu’elle viole le message des prophètes de la Bible tout comme celui de l’Évangile, et que tous les efforts pour justifier l’oppression du peuple palestinien ou lui donner une légitimation par la communauté chrétienne, que ce soit passivement ou activement, par le silence, la parole ou l’action, constituent une violation fondamentale de l’Évangile.

C’est pourquoi nous rejetons l’idée que l’occupation de la Palestine par Israël est un problème purement politique étranger aux préoccupations de l’Église, ou que l’oppression du peuple palestinien est une conséquence inéluctable d’intérêts géopolitiques à l’échelle mondiale ou régionale.

C’est pour cela que nous vous appelons à :

a.     participer à un processus intensif de réponse à l’appel « Un cri pour de l’espoir » et à la résolution de l’Assemblée du Conseil Œcuménique des Églises de 2022 sur la paix au Moyen-Orient qui appelait à étudier les récents rapports d’organisations de défense des droits humains qui apportaient des preuves sur le système d’apartheid mis en place par Israël, à prendre d’urgence des décisions adéquates, et à interpeller les Églises qui ne se joignent pas à ce processus, en gardant à l’esprit ces paroles de Bonhoeffer : « Remettre à plus tard des décisions ou éviter de les prendre pourrait bien être un péché plus grand encore que de prendre de mauvaises décisions pour des raisons de foi ou d’amour ».

b.     mettre en route des missions de solidarité et de recherche d’informations dans la bande de Gaza et en Cisjordanie pour mettre en évidence les crimes de guerre israéliens et évaluer les faits à la lumière des jugements récents d’institutions judiciaires internationales.

c.     vous repentir publiquement de votre inaction et de votre silence jusqu’à ce jour, pour avoir accepté des théologies qui soutiennent l’apartheid, la discrimination et même le génocide, et à révoquer des déclarations antérieures allant dans ce sens.

d.     faire mention de l’apartheid et du génocide israéliens dans vos déclarations.

e.     demander à votre gouvernement de conditionner immédiatement et publiquement toute coopération avec l’État d’Israël au respect de ses obligations selon le droit international :

i.    demander à votre gouvernement de suspendre toute vente d’armes à l’État d’Israël et imposer des sanctions aux ministres du gouvernement israélien et à tout commerce avec l’État d’Israël.

ii.  demander aux Églises de désinvestir de toute entreprise commerciale qui tirerait profit de l’occupation illégale de la bande de Gaza et de la guerre qui y est menée.

iii. demander à tous les membres des Églises de boycotter Israël dans les domaines économique, académique et culturel.

Il y a 51 ans, le pasteur Martin Luther King écrivait à ses collègues : « L’Église est exposée aujourd’hui au jugement de Dieu comme jamais auparavant ». La force juridique et morale du droit international et les exigences bibliques de justice se rejoignent aujourd'hui avec puissance. L’histoire vous jugera sur votre refus de répondre à l’urgence d’un tel appel. Ne rien faire signifiera que vous êtes directement complices de crimes avérés contre l’humanité et vous mettra clairement en opposition et en contradiction avec le droit international et les arrêts de la Cour internationale de justice, de la Cour pénale internationale, et avec les impératifs bibliques disant ce que le Seigneur attend de vous.

Le monde entier est témoin des actes génocidaires de l’État d'Israël. Il n’est plus possible aujourd’hui de nier son intention de prendre possession de toute la Palestine historique à travers l’accaparement des biens du peuple palestinien et le nettoyage ethnique à son encontre. Cela fait près de 80 ans qu’Israël poursuit cet objectif sans relâche, avec le soutien politique, militaire et économique des grandes puissances occidentales.

Où sont donc les voix des Églises en ce moment charnière de l’histoire ? Quelles actions entreprendront-elles en réponse à un tel crime contre l’humanité ? Vos Églises seront-elles à la hauteur de leur héritage historique alors qu'elles sont appelées, aujourd’hui, à agir de manière décisive dans des affaires humanitaires ?

La délivrance s'est retirée et le salut se tient éloigné, car la vérité trébuche sur la place publique et la droiture ne peut approcher. Mais voici mon alliance avec eux, dit l'Eternel : Mon esprit qui repose sur toi et mes paroles que j'ai mises dans ta bouche ne se retireront point de ta bouche, ni de la bouche de tes enfants ni de la bouche des enfants de tes enfants, dit l'Eternel, dès maintenant et à jamais.

Ésaïe 59,14.21

Kairos mondial pour la justice                                                                                                        Patriarche Michel Sabbah

                                                                                                        Président de Kairos Palestine

Kairos mondial pour la justice est une coalition mondiale de chrétiens engagés et membres de diverses Églises, dénominations et organisations liées aux Églises dans divers pays, née en réponse à l’appel « Un moment de vérité : Une parole de foi, d’espérance et d’amour venant du cœur de la souffrance palestinienne » lancé en 2009. Kairos mondial pour la justice s'engage à ne recourir à aucune violence, appelle à la fin de la colonisation de la Palestine par Israël, et appelle au droit à l'autodétermination du peuple palestinien et à la paix dans la justice pour tous les habitants de la Terre sainte.

Traduit par les Amis de Sabeel France

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