Vécu d’une
citoyenne israélienne arabe à Nazareth
Conférence de
Mme Violette Khoury, responsable de Sabeel-Nazareth,
donnée le 15
juin 2019 à l’église protestante de Strasbourg-Meinau.
C’est
une apôtre de la paix, de la liberté, de la non-violence et de la
réconciliation que nous avons rencontrée en la personne de Mme Violette Khoury
en l’église protestante de la Meinau le 15 juin dernier.
Elle vient de
Nazareth, sa famille y vit depuis toujours, plusieurs de ses ancêtres ont
peut-être joué avec le jeune Jésus… Elle est pharmacienne à la retraite et
membre fondateur de l’association œcuménique Sabeel (prononcez Sabîl,
qui en arabe signifie source, chemin), association qui appuie son
action sur une théologie palestinienne de la libération. Elle s’exprime dans un
excellent français, recherché même.
Mme Khoury
répondait à l’invitation des Amis de Sabeel France que la pasteure Ulrike
Richard-Molard a accueillis ce samedi pour leur Assemblée générale annuelle et
pour nous faire connaître les réalités de la vie des chrétiens en Israël,
au-delà de ce que les médias peuvent nous en rapporter, ou de ce qu’on peut en
voir comme touriste de passage.
Mme Khoury
commence par nous raconter ce qui a profondément marqué sa jeunesse quand elle
a vu l’arrivée massive en quelques jours de 25 000 réfugiés dans la petite
ville de Nazareth qui comptait alors 10 000 habitants. C’était en 1948, au
moment de la création de l’État d’Israël. La Nakba (le désastre) qui s’en est suivie a fait fuir des centaines
de milliers de Palestiniens qui ont tout perdu et dont plus de 500 villages ont
été rasés. La jeune Violette a alors appris à accueillir et à partager.
Dans le nouvel
État, les habitants arabes deviennent des citoyens de seconde zone,
« minoritaires » dans le pays qui était le leur et sous contrôle
militaire pendant 20 années, ce qui a engendré des réflexes de peur : on
finit par se sentir étranger dans son propre pays.
Mme Khoury a eu
la chance de pouvoir poursuivre ses études de pharmacie à l’étranger, en
Italie, à Rome. Là-bas, trois bouleversements vont être pour elle autant de
révélations :
· Tout d’abord,
elle découvre ce que signifie vivre en paix,
que cela est possible et que c’est bien une réalité, la base nécessaire à toute
vie épanouie.
· Puis, elle
découvre la liberté, celle de pouvoir
être enfin soi-même, en n’ayant plus peur de celui qui maintenant ne vous
contrôle plus.
· Et son troisième
bouleversement va être plus spirituel, car à Rome, dans une ambiance tout à fait
catholique (elle-même est catholique de rite melkite), elle fait l’expérience
du manque de la partie musulmane et
juive de sa personnalité palestinienne. « Or cette diversité est une
richesse, souligne-t-elle, nous sommes
faits pour avoir des partenaires d’horizons différents ».
Les péripéties
de la reconnaissance de son diplôme par les autorités israéliennes qui ne
voulaient pas reconnaître la mention du mot « Palestine » sur son
certificat de naissance vont lui donner une leçon de dignité : on ne change
pas pour plaire, on reste dans la vérité, et ainsi on brise les barrières de la
peur.
Mme Khoury, du
fait de son histoire, a des identités multiples : arabe, israélienne,
catholique melkite… Elle doit toujours expliquer qui elle est et ce qu’elle n’est
pas : ni juive, ni musulmane.
Mme Khoury
aborde alors une première question : Comment
être palestinien en Israël aujourd’hui ? Elle ne parle pas de conflit :
le mot n’est pas approprié, dit-elle, car il n’y a pas d’égalité entre un
oppresseur et un opprimé. Elle parle plutôt d’injustices, de blessures
transmises de générations en générations, d’identité perdue, de 53
discriminations recensées : expropriations de terrains pour les colonies
juives, localités et écoles séparées, contrôle de la pensée, mais « On existe… ! ».
Les Palestiniens, officiellement « citoyens arabes », se sentent
marginalisés, et oubliés aussi par les Arabes des autres pays.
Les Arabes
palestiniens en Israël représentent 20% de la population israélienne. Ils sont
à 83% musulmans, 9% druzes et 8% chrétiens.
Une étape
importante a été franchie le 19 juillet 2018 avec le vote d’une nouvelle loi :
Israël comme État-nation du peuple juif, … ce
qui exclut de fait un certain nombre de ses citoyens actuels, surtout
les Palestiniens. L’avenir s’annonce sombre.
Mme Khoury
rappelle que les Palestiniens sont aussi présents en grand nombre à Jérusalem,
dans des camps de réfugiés, dans d’autres pays arabes, et au travers d’une
diaspora importante. Ils forment un seul peuple, alors qu’on cherche à les
différencier pour les disperser.
Puis, Mme Khoury
tente encore de répondre à la question centrale : Comment être chrétien palestinien en Israël aujourd’hui ?
Tout d’abord,
ces chrétiens font partie du monde arabe. Ils sont les descendants des premiers
chrétiens issus de la Pentecôte. Ils sont donc de très longue date reliés à
leur terre. La Palestine a toujours été habitée, quoi qu’on essaye de faire
accroire et contrairement au fameux slogan : « Un peuple sans terre
pour une terre sans peuple » ! Il y a là-bas 13 dénominations
chrétiennes ; elles perpétuent la vie des premiers chrétiens.
Pour elle,
melkite, comme pour l’ensemble des Palestiniens et partout dans le Proche-Orient,
la religion est d’abord une identité, puis une religion. Chacun est libre de
pratiquer la religion dans laquelle il est né, ce qui est une forme de
tolérance, mais elle est limitée, car il est difficile d’en changer
(l’état-civil est géré par les diverses religions).
Les Arabes
israéliens ont certes quelques députés, mais sans grande influence.
Le combat de Mme
Khoury est axé sur la justice et la paix. Elle puise son inspiration dans les
Évangiles qu’elle cite à plusieurs reprises. La foi lui donne l’espérance, qui
donne la force de travailler, qui elle-même procure la paix de l’esprit
accompagnée d'une grande paix intérieure.
En conclusion,
les chrétiens palestiniens souffrent d’isolement et de marginalisation. Leur
identité est en train de se perdre, les esprits et la pensée sont contrôlés,
c’est pourquoi beaucoup ont fini par quitter le pays. Pour rester, il faut
retrouver une société saine reposant sur une base solide. Dans cette optique,
de façon très concrète, elle vient de créer l’association Nasijona (qui a à voir avec tisser, tisser des liens), association
qui veut relancer l’artisanat palestinien, constitutif de l’identité
palestinienne. « Oui, il s’agit vraiment de retisser des liens ».
Enfin, elle
demande nos soutiens et nos prières pour son action. En réponse à de nombreuses
questions, Mme Khoury nous apprend encore :
· qu’il est
possible pour eux d’aller d’Israël vers les Territoires occupés[1],
mais que l’inverse n’est pas possible, ce qui est un cauchemar pour les
familles dispersées,
· que les Églises
sont très contrôlées par l’État israélien, et que tout ce qui touche à la
politique y est interdit ; ainsi, il est très difficile de prier pour les
victimes des guerres récentes,
· que l’État se
sert des religions pour créer des dissensions, pour tenter de séparer chrétiens
et musulmans : ainsi, il y a eu la tentative de créer une nationalité
araméenne (!) pour les arabes chrétiens, ce qui est une absurdité
historique ! Ils ne seraient alors ni arabes, ni palestiniens, et surtout
différenciés des musulmans ! Tentative qui a avorté,
· qu’il ne s’agit surtout
pas de faire de l’affrontement qu’elle nous a décrit un exutoire pour les
jeunes des cités d’ici, étant donné qu’eux-mêmes, en tant que Palestiniens
chrétiens, évitent toute violence.
Notes prises par
Etienne Piémont, membre actif de la paroisse catholique de la Meinau
et de l’association du jardin interreligieux
« Oasis de la Rencontre »
[1] Possible mais pas
permis : à l’entrée de la zone A, sous autorité palestinienne – du moins
théoriquement -, de grands panneaux rouges posés par le gouvernement israélien portent ce texte en hébreu,
en arabe et en anglais : « Cette route mène en zone A, sous autorité
palestinienne. L’entrée est interdite aux citoyens israéliens, elle est
dangereuse pour vos vies et est contraire à la loi israélienne » (note de
E. Reichert).
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