Kumi Now Semaine 41 : du 28 juillet au 3 août
2019
Les femmes dans le conflit – Les Femmes
en noir
Il y a une curieuse ironie dans les rapports entre guerre et
genre : la guerre est presque toujours déclarée et menée par des hommes, mais
ce sont les femmes et les enfants qui souffrent le plus de sa violence. Il en
est de même pour la fin des guerres : ce sont des hommes qui négocient les
traités sans tenir compte des voix, des besoins et des compétences des femmes. Les
Femmes en noir sont un réseau mondial
qui agit pour faire participer les femmes à la solution du conflit
israélo-palestinien. Voici ce qu’il vous faut savoir sur le rôle des femmes
dans la solution à ce problème qui a l’air insoluble, et ce que vous pouvez
faire pour que nous puissions nous lever (Kumi !) ensemble.
Organisation
Le mouvement des Femmes en noir
est un réseau mondial de femmes engagées dans la recherche de la paix dans la
justice, et activement opposées à l’injustice, à la guerre, au militarisme et à
toute autre forme de violence. Comme femmes vivant ces réalités de manières
diverses dans différentes régions du monde, nous soutenons les initiatives les
unes des autres. Un objectif important est la contestation des politiques
militaristes de nos propres gouvernements. Nous ne sommes pas vraiment une
organisation mais un réseau de communication et une plateforme d’actions
possibles. Les groupes de Femmes en noir
n’ont pas rédigé de constitution ou de manifeste, mais l’optique féministe
apparaît clairement dans toutes nos actions et prises de parole.
Nous savons que les différentes formes de violence masculine à l’égard
des femmes sont toutes de même nature, que ce soit dans la vie domestique ou au
sein de la communauté de vie, en temps de paix ou en temps de guerre. On a
toujours recours à la violence pour contrôler les femmes. Dans quelques régions
du monde, il y a aussi des hommes qui partagent cette analyse et qui soutiennent
les Femmes en noir dans leurs actions.
De même les Femmes en noir soutiennent
les hommes qui refusent de se battre. Ensemble les femmes peuvent éduquer,
informer et influencer l’opinion publique, et tenter ainsi de faire de la
guerre une option impensable.
Les groupes de Femmes en noir
ont recours à des formes d’action non-violentes et non-agressives, comme tenir
des vigiles, s’asseoir pour bloquer une route, pénétrer dans des bases
militaires et dans d’autres zones interdites, refuser d’obéir aux ordres et
‘porter témoignage’. Tout groupe de femmes n’importe où dans le monde peut
organiser une vigile de Femmes en noir
contre une manifestation de violence, le militarisme ou la guerre. Nos vigiles
non-violentes prennent souvent la forme de femmes vêtues de noir qui, à
intervalles réguliers, se tiennent debout en silence dans des lieux publics,
brandissant des pancartes et distribuant des tracts. Dans diverses cultures, s’habiller
en noir est un signe de deuil. Les actions de féministes habillées de noir
transforment le deuil traditionnellement passif des femmes pour ceux qui sont
morts à la guerre en un refus puissant de la logique de guerre.
Les veillées de Femmes en noir
ont commencé à Jérusalem en 1988, comme réaction au déclenchement de la
première Intifada palestinienne.
Lorsqu’en 2001, en Israël-Palestine, des femmes en noir, membres d’une
coalition de Femmes pour une paix juste,
appelèrent à des vigiles contre l’occupation des terres palestiniennes, au
moins 150 groupes de Femmes en Noir
répondirent à leur appel partout dans le monde. On estime que près de 10.000 femmes
y ont participé. Au moment le plus fort du mouvement anti-occupation, on a recensé
30 vigiles sur l’ensemble du pays. Il y a aujourd’hui quatre vigiles régulières
qui se réunissent depuis 1988. Elles ont lieu chaque vendredi de 13h à 14h à
Gan Shmuel, Haïfa, Jérusalem et Tel Aviv. Vous pouvez trouver les Femmes en noir sur leur site web http://womeninblack.org/.
La situation
Dans le contexte palestinien les femmes ont à faire face aux mêmes
défis que les hommes, mais elles doivent en plus supporter le poids de
l’occupation de plusieurs façons très particulières qui échappent souvent à
l’opinion publique et aux médias. Les démolitions de maisons par exemple, et
les logements surpeuplés causent aux familles des difficultés économiques dont
elles pourraient bien se passer. Au sein des foyers ce sont aussi les femmes qui
assurent les premiers soins, tout particulièrement aux enfants et aux personnes
âgées, et les checkpoints les obligent à faire face à toutes sortes de
difficultés quand elles veulent accompagner des membres de leur famille à
l’hôpital. Les veuves quant à elles assument de nombreux rôles, allant de la
prise en charge des enfants aux soins de la maison et au souci de la stabilité
de leur famille
Beaucoup de femmes sont exposées à des violences physiques,
psychologiques et sexuelles de la part de colons, de soldats, de gardiens de
prison, et de membres de leur propre famille. Les femmes palestiniennes ne
signalent souvent pas les violences qu’elles subissent de la part de soldats et
de colons parce qu’elles ont peur des répercussions possibles, et parce qu’elles
ne croient pas que le système judiciaire pourrait les protéger. Selon le Centre des Femmes pour l’Aide et le Conseil Judicaires
(WCLAC), entre 2000 et 2009 seules 105 des 1.805 plaintes déposées ont été
suivies d’une mise en accusation, soit 6 % des cas. Des situations comparables
de violence sexuelle existent au sein du système pénitentiaire israélien, où
les femmes subissent des agressions sexuelles ou des menaces de mise en danger
de leurs proches. En plus de cette cruauté, le très faible nombre de visites de
la famille et la séparation d’avec leurs enfants augmentent encore le stress
psychologique et émotionnel auquel ont à faire face les femmes en prison. Il
est important aussi de noter que les femmes peuvent subir des violences et des
mauvais traitements au sein de leur propre foyer. Selon Femmes des Nations Unies, environ 30% des femmes ont subi des
violences au sein de leur foyer, mais seulement 35% d’entre elles les ont
déclarées. Les femmes de Palestine souffrent à la fois de l’occupation et des
règles patriarcales de leur propre société.
Jean Zaru, chrétienne Quaker palestinienne et militante pacifiste,
dépeint un tableau poignant de quelques-uns des combats que doivent livrer les
femmes palestiniennes qui vivent sous occupation : « La plupart des
images de Palestiniens dans les médias sont celles d’hommes et de garçons par
centaines dans les rues de Gaza, soit pour des manifestations, soit pour des funérailles…
mais lorsqu’il y a des coups de feu, lorsqu’il y a des morts, lorsqu’il y a des
funérailles, les femmes sont impliquées. Elles ne quittent pas leur maison pour
se répandre dans les rues, mais les femmes soutiennent encore la moitié du
ciel. Une grande partie du travail des femmes est invisible, en particulier aux
yeux des médias.
Les femmes de Palestine sont souvent désignées comme « le ciment
de notre société ». Nous sommes celles qui maintenons l’unité de nos
familles quand nos maris, nos frères, nos fils sont en prison, déportés,
blessés ou tués, ou encore lorsqu’ils ont émigré pour des raisons économiques
ou politiques. Pourtant, comme dans toutes les sociétés, les femmes
palestiniennes ont été cantonnées dans des rôles subalternes et tenues à
l’écart des cercles cruciaux de prise de décision…
Ainsi, en tant que femme palestinienne, je me trouve à me battre sur
deux fronts. Les femmes palestiniennes doivent travailler pour la libération
sur le front national, tandis qu’en même temps elles travaillent à la
libération des femmes au plan de la société. Nous avons à lutter pour nous
libérer de la hiérarchie et des structures dominées par les hommes dans notre
société » (Jean Zaru : Occupés mais non-violents p.185-186).
Un récit : ‟Je l’ai dessinée ensanglantée”
Dans son introduction au livre
‘Lettres à la Palestine : Réactions d’écrivains à la guerre et à l’occupation’,
Vijay Prashad, historien célèbre du Moyen Orient, joue le témoin extérieur qui
jette un regard sur la tragédie de la Palestine. Il y raconte l’histoire de
Fida Qishta qui, à son tour, raconte celle de Mona. Cette femme et cette fille
font toutes deux appel à leur art pour attirer l’attention sur les injustices
faites à elles-mêmes et à leur peuple. Cela vaut la peine de se poser la
question : Quel est leur pouvoir ? Qui est responsable de ce qu’elles
vivent ? En quoi leurs vies seraient-elles différentes si des femmes et
des filles comme elles étaient au pouvoir ? Et comment faire advenir
cela ? :
« Une guerre de plus, une période épuisante de plus pour les
Palestiniens, une période pleine de morts et de destructions, de terreur et de
ses traumatismes…
Fida Qishta, qui est née et qui a grandi à Rafah en Palestine, a
promené sa caméra pour montrer la vie dans sa bande de Gaza. Elle a rassemblé
son histoire dans la douloureuse méditation d’un film : Où les oiseaux devraient-ils voler ?
(2012). Des scènes de fermiers et de pêcheurs ordinaires qui essaient d’exercer
leur métier sous les tirs de canonnières et de snipers israéliens vont droit au
but. Tous ceux qui parlent des roquettes du Hamas tirées sur Israël devraient
jeter un regard sur cette partie du film de Qishta où il est fait un usage
banal et même provocateur de tirs pour rabaisser et effrayer des Palestiniens
désarmés qui essaient tout simplement de gagner leur vie. Bulldozers et
frontières leur rendent la vie impossible.
Puis est venu Plomb durci en 2009.
C’est une chance que Qisha ait eu sa caméra à portée de main et qu’elle soit si
courageuse. Les scènes sont dérangeantes et honnêtes, il n’y a rien de fabriqué
dans son film. Nous sommes là le 18 janvier, le jour où une attaque israélienne
a tué quarante-huit membres de la famille de Helmi et Maha Samouni dont la
maison à Zeitoun, dans les faubourgs de la ville de Gaza, a été bombardée puis
occupée.
Puis nous
rencontrons Mona. Elle est au centre de ce film d’une précision dérangeante.
Âgée de dix ans, elle est la guide de Qisha à travers les souffrances et la
résilience de Gaza. Sa famille de fermiers a été regroupée par l’armée
israélienne dans la maison d’un voisin, et cette armée accusait son frère de
faire partie du Hamas. Sa maison est alors bombardée par des avions. Qisha
demande à Mona combien de personnes de sa famille ont péri ce jour-là. ‟Dans ma
famille immédiate ?” demande Mona innocemment, sans se rendre compte de la
gravité de sa question. Il y a eu tant de morts, mais elle semble résignée et pleine
de sagesse. ‟Si nous mourons” dit-elle gravement, ‟nous mourons. Si nous
survivons, nous survivons.” Elle montre à Qisha un dessin qu’elle a fait du
massacre : ‟C’était une mer de sang et de morceaux de corps humains”
dit-elle. ‟Ils ont pris ceux qui étaient les plus chers à mon cœur”, désignant
ainsi ses parents. Elle indique une personne sur son dessin : ‟C’est la
Palestine. Je l’ai dessinée ensanglantée. »
L’introduction
complète est publiée en ligne par Verso Books sur https://www.versobooks.com/blogs/1994-a-country-in-darkness
Action
Agissez et lancez une vigile ! Suivez le lien http://womeninblack.org/action/
pour connaître les directives générales en vue de lancer une vigile de Femmes en noir. Puis prenez contact avec
votre équipe locale Kumi pour
annoncer quand et où votre vigile aura lieu. Prenez une photo de votre vigile
et diffusez-la sur les médias sociaux, avec un lien vers cette page du site web
de Kumi Now et les hashtags
#WomenInBlack, #KumiNow, et #Kumi41. Si vous ne pouvez pas vous joindre à une
vigile ou en organiser une, tenez-vous durant une heure à un endroit public
pour protester contre l’occupation, en solidarité avec les vigiles qui ont lieu
partout dans le monde.
Un texte : ‟Les mots derrière les mots”, de Naomi
Shihab Nye
Les
mains de ma grand-mère reconnaissent les raisins,
L’éclat
humide de la nouvelle peau d’une chèvre.
Lorsque
j’étais malade, elles me suivaient,
Je
m’éveillais d’une longue fièvre pour les trouver
Couvrant
ma tête comme de fraîches prières.
Les
jours de ma grand-mère sont faits de pain,
De
rondes caresses et de lente cuisson.
Elle
attend près du four observant une voiture étrangère
Qui
tourne dans la rue. Peut-être est-ce son fils
Perdu
pour l’Amérique. Le plus souvent ce sont des touristes
Qui
s’agenouillent et pleurent dans de mystérieux sanctuaires.
Elle
sait quand il y a du courrier
Et
combien rares sont les lettres.
Lorsqu’il
en arrive une, elle l’annonce : un miracle !
Et
en écoute le contenu, lu et relu
Dans
la faible lumière du soir.
La
voix de ma grand-mère dit que rien ne saurait la surprendre.
Portez-lui
la blessure causée par un tir de fusil et le bébé estropié.
Elle
connaît les lieux que nous parcourons,
Les
messages que nous ne pouvons envoyer car nos voix sont faibles
Et
se perdraient en route.
Adieu
an manteau du mari,
Et
à ceux qu’elle a aimés et nourris,
Qui
d’elle s’envolent comme des graines dans un ciel profond.
Ils se
planteront d’eux-mêmes. Nous allons tous mourir.
Les
yeux de ma grand-mère disent qu’Allah est partout, même dans la mort.
Lorsqu’elle
parle du verger et du nouveau pressoir à olives,
Lorsqu’elle
raconte les histoires de Joha et de ses sagesses insensées,
C’est
Lui qui est sa première pensée, ce qu’elle pense réellement c’est Son nom.
‟Réponds,
si tu entends les mots sous les mots,
Sinon
ce n’est qu’un monde aux bordures nombreuses, rugueuses,
Difficiles
à traverser, et nos poches sont pleines de pierres.”
De
Naomi Shihab Nye, poétesse, auteure de chansons et, romancière, de père
palestinien et de mère américaine. Publié dans Anthologie de la Littérature
Palestinienne Moderne par Salma Khadra Jayyusi.
Ressources (en
anglais …sauf le premier livre)
Livre : Jean
Zaru : Occupés mais non-violents, Riveneuve 2016.
Paroles de femmes sur la
résistance non-violente :
- Freya Aquarone: The Art of
Resistance: https://youtu.be/QttCF1sURzU
- Scilla Elworthy: Fighting with
Nonviolence: https://youtu.be/mk3K_Vrve-E
- Erica Chenoweth: The Success of Nonviolent Civil
Resistance : https://youtu.be/YJSehRlU34w
Articles sur le rôle des femmes dans la
résolution du conflit israélo-palestinien :
- “Can Women Solve the Israeli-Palestinian Conflict?” par
Aloha Ferber, Forward https://forward.com/sisterhood/323087/will-women-solve-the-israeli-palestinian-conflict/
- “Women and Power in the Israeli-Palestinian
Conflict” par Lucy Nusseibeh, Palestine-Israel Journal of Politics, Economics
and Culture http://www.pij.org/details.php?id=1371
- “Gender and Conflict Transformation in
Israel/Palestine” par Shimona Sharoni, Journal of International Women’s Studies
http://vc.bridgew.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1026&context=jiws
- “Role of Women, Youth in Peaceful Settlement of
Question of Palestine at Heart of United Nations Meeting in Paris”, United
Nations https://www.un.org/press/en/2012/gapal1232.doc.htm
Rapports de WCLAC (Centre des Femmes
pour l’Aide et le Conseil Judiciaires) sur le rôle des femmes en situation d’occupation
:
- Joint-submission by WCLAC to Israel’s Universal
Periodical Review: Palestinian Women Under Prolonged Israeli Occupation (2017):
http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1941
- Women’s Voices: Glimpses of Life Under Occupation
(2012): http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1148
- UN Submission by WCLAC on Jerusalem Women- Issues of
Concern (2017): http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1880
- Women and the Draft Constitution of Palestine
(2011): http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1078
- The Experience of Personal Status Law in Palestine
(2011) http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1105
- Women’s Center for Legal Aid and Counseling: Women’s
Voices in the Shadow of the Settlements: A 2010 report on Israel’s human rights
violations against Palestinian Women.
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