Kumi Now Année 2 Semaine 47 : 8 au 14 septembre 2020
L’Institut arabe d’éducation - Le tombeau de Rachel
Le Tombeau de Rachel, au nord de Bethléem, est un site religieux important tant pour les chrétiens que pour les juifs et les musulmans. Mais Israël a annexé illégalement tout le secteur du tombeau, l’a entouré d’un mur et en interdit l’accès aux Palestiniens. L’Institut arabe d’éducation s’efforce de faire la lumière sur cette injustice et de permettre à tous d’y accéder à nouveau. Voici ce qu’il vous faut savoir sur la situation actuelle, et ce que vous pouvez faire pour que nous puissions nous lever (Kumi !) tous ensembles.
L’Institut arabe d’éducation
L’Institut arabe d’éducation est une organisation palestinienne qui œuvre en faveur de l’éducation, de la paix et du dialogue en Cisjordanie occupée. Créé en 1986 et implanté au centre de Bethléem, il propose à la jeunesse palestinienne des cours dans toutes sortes de domaines : programmation sur ordinateur, gestion d'entreprise, langues... En 2000 il est devenu une filiale de Pax Christi International, un mouvement catholique pour la paix. Il intervient dans un réseau de quelque 30 écoles et 10 organisations de femmes dans les secteurs de Bethléem, d'Hébron et de Ramallah.
L’Institut arabe d’éducation fait appel à des bénévoles internationaux pour participer à son action en faveur de la paix. Il travaille en étroite collaboration avec des ONG palestiniennes aux niveaux à la fois local et national, et tout particulièrement dans les domaines de l’éducation et des actions non-violentes.
Actuellement, les activités de l’Institut arabe d’éducation sont prises en charge par neuf groupes : quatre groupes de femmes, quatre groupes de jeunes, et un groupe de parents et de familles. Les jeunes s’investissent dans des projets soutenus surtout par des organismes de développement et des gouvernements européens. C’est ainsi que le projet Fenêtres Ouvertes gère une maison des Jeunes et une Maison de l’histoire du Soumoud dont les cours et les ateliers de formation veulent donner une information concrète sur l’identité et la réalité palestiniennes.
Depuis 2011, l’Institut arabe d’éducation a collé sur le mur qui entoure la tombe de Rachel à Bethléem 270 grandes affiches résistantes aux intempéries. La plupart de ces affiches présentent de brefs récits de vie écrits par des jeunes et des femmes palestiniennes. Ces récits parlent des restrictions et des violations quotidiennes des droits humains que subissent les Palestiniens, mais aussi de leur soumoud, mot arabe qui veut dire force intérieure, ténacité, résilience. L'ensemble de ces affiches constitue le « Musée du Mur », ultime élément de toute une série d’activités culturelles créatives entreprises depuis 2008 et inspirées par des initiatives prises dans d’autres villes qui ont également été séparées par un mur, comme Berlin et Belfast.
A noter que les guillemets autour du nom de ce musée sont intentionnels. Car le musée n’a pas du tout vocation à être permanent. Tout au contraire ! Notre espoir, c’est que les histoires du « Musée du Mur » vont contribuer à le fissurer et le faire s'écrouler. En d’autres termes, nous espérons que le « Musée du Mur » aura un succès tel qu’il finira par se détruire de lui-même.
Les divers récits, issus de diverses périodes, veulent donner un sens à l’histoire et suggérer la possibilité d’un changement, y compris dans la vie quotidienne de toute personne. Au cours de ces dernières années, l'Institut arabe d’éducation a étendu le « Musée du Mur » à des secteurs proches du camp de réfugiés d’Aïda à l’ouest du tombeau de Rachel, avec des photos et des récits pleins de vie sur des jeunes et des histoires fantastiques d’enfants. Récemment nous avons aussi demandé à des jeunes et à des femmes palestiniennes de créer des ateliers de peinture pour donner vie à leurs aspirations à la liberté et à la paix. Ces peintures sont maintenant exposées sur 50 nouvelles affiches qui présentent 50 visages de l’occupation et 50 expressions de soumoud, en commémoration de maintenant plus de 50 ans d’occupation.
Le « Musée » n’appartient pas seulement à la communauté locale mais touche aussi un large cercle international. Les affiches sont sponsorisées par des personnalités et des institutions d'autres régions du monde. Le Programme œcuménique d’accompagnement pour la paix en Palestine et en Israël (EAPPI) du Conseil Œcuménique des Églises a soutenu le « Musée » par le simple fait de la présence de ses volontaires lors du collage des affiches.
Vous pouvez trouver l'Institut arabe d’éducation sur son site web http://aeicenter.net/, ou joindre son groupe Facebook sur https://www.facebook.com/groups/146586100662/ ou le trouver sur YouTube à https://www.youtube.com/user/aeiopenwindows1, ou encore contacter directement l’organisation par son adresse e-mail info@aeicenter.org.
La situation
Le voisinage du Tombeau de Rachel, un lieu de pèlerinage à la fois pour les musulmans, les chrétiens et les juifs, a longtemps été l’un des plus vivants de Bethléem, en Cisjordanie occupée. La route d’Hébron reliait Jérusalem à Bethléem, et sa section nord était l’endroit le plus vivant de toute la ville. C’était l'entrée de Bethléem pour ceux qui venaient de Jérusalem. Et là les visiteurs choisissaient soit la direction d’Hébron, soit la route qui menait à l’Église de la Nativité.
La réalité est toute autre aujourd’hui. Au cours des années 90, le Tombeau de Rachel a été transformé en une forteresse militaire israélienne, à proximité immédiate de l’imposant checkpoint Jérusalem-Bethléem. L'endroit est ainsi devenu le lieu emblématique des manifestations palestiniennes, en particulier lors de la seconde Intifada, qui a commencé en septembre 2000. Deux années plus tard, Israël annexait tout le secteur du Tombeau à Jérusalem et l'a entouré de murs au cours des années 2002-2005, et ouvert un parking à proximité. Le Tombeau est ainsi devenu un territoire interdit pour les habitants de Bethléem. Pas moins de 64 boutiques, garages, ateliers ont fermé leurs portes depuis l’an 2000 le long de la route d’Hébron, pas seulement à cause des combats, des tirs et des bombardements qui y ont eu lieu durant la seconde Intifada, mais aussi parce que le Mur a fait de cet endroit un lieu de désolation. Les gens se rappellent que les parents mettaient en garde leurs enfants pour qu'ils ne se rendent pas dans ce secteur avec son imposant mur de béton de 8 à 9 mètres de haut, …presque deux fois la hauteur de l’ancien mur de Berlin !
Deux récits :
« Étreints »
Lors de la première Intifada, les chars israéliens étaient stationnés devant notre maison. Nos jeunes gens devaient passer par là pour aller à leur lieu de travail à Jérusalem. Les soldats avaient l’habitude de les arrêter et de les faire attendre. Ils devaient quelquefois se tenir là des heures durant, à regarder le mur de notre maison. Un jour, les soldats ont ainsi arrêté deux jeunes gens. Nous ne pouvions pas entendre ce qui se disait, mais les soldats se sont mis à les frapper. Soudain, une femme est venue de la rue en criant et en hurlant. Nous l’entendions dire que les jeunes étaient ses enfants. Elle les a étreints et a demandé aux soldats ce qu’ils voulaient. Elle a ainsi délivré ces jeunes qu’en réalité elle ne connaissait pas du tout.
Melvina, de Bethléem
« Sauvé »
Durant la seconde Intifada, la jeune Palestinienne que j’étais était enceinte de quatre mois. J’ai perdu mon bébé à cause des gaz lacrymogènes israéliens. J’étais terriblement déprimée, car c’était ma deuxième fausse couche. Une semaine plus tard, j’ai consulté un médecin à Jérusalem pour un check-up. En sortant de la clinique j’ai vu, juste à côté, un enfant israélien qui jouait imprudemment en haut d’un escalier mécanique et risquait de tomber. Toutes sortes de pensées me traversèrent l’esprit. Allais-je l’abandonner et le laisser mourir comme les soldats israéliens avaient fait mourir mon fils une semaine plus tôt, ou devais-je l’empoigner et essayer de le sauver au dernier moment ? Tout d’un coup, j’éprouvai comme une pulsion qui me fit me précipiter en avant. Je me suis jetée sur le gamin et l'ai empêché de tomber.
Sylvana, de Bethléem
Action
Copiez l’un des récits du « Musée du Mur » (vous en trouverez les images sur http://aeicenter.org/?p=413) et collez-la sur un mur de votre école ou de votre commerce. Pour attirer l’attention, ajoutez-y une formule du genre « RIP, Rachel ». Ou diffusez l’une des images sur votre mur Facebook. Expliquez que « RIP » veut dire « Repose en Palestine ».
Prenez ensuite une photo de votre propre « Musée du Mur »et diffusez-la sur les médias sociaux avec un lien vers cette page du site web de Kumi Now et les hashtags #RIPRachel, #StoptheWall, #KumiNow, et #Kumi47.
Un texte : « Storyland », Terre d'histoires, de Lorraine Adams.
La Bethléem de “O Little Town of Bethlehem” : « Ô petite ville de Bethléem », un chant de Noël très connu dans le monde anglophone, cette Bethléem-là n’existe plus. Son auteur y était venu à cheval de Jérusalem en 1865. Il lui avait fallu deux heures pour faire les dix kilomètres que l’on parcourt en vingt minutes aujourd’hui. Sauf si l’on est Palestinien ! Car il leur faut quatre fois plus de temps à cause de tous les checkpoints qu’ils doivent traverser et des routes sinueuses qu’ils doivent emprunter le long du Mur.
Vous devriez écouter une autre histoire sur Bethléem. Elle se trouve dans la Torah et parle de Rachel. Rachel commença à avoir des contractions sur le chemin qui venait de Jérusalem, et « Rachel mourut et fut enterrée sur la route d'Ephrata, c'est-à-dire Bethléem » (Genèse 35.19). Mais avant que son âme ne la quitte, l’accoucheuse lui dit qu’elle avait donné naissance à un fils. C'était une consolation.
Pas grand-chose comme histoire ? Mais il y a une suite ! Car il existe un ancien commentaire, un midrash, qui brode sur ce récit et ajoute que l’autre fils de Rachel, Joseph, a prié ainsi sur sa tombe lorsqu’il était en route pour devenir esclave en Égypte : « Mère, ma mère qui m’a donné naissance, réveille-toi, lève-toi et vois ma souffrance ! » Et Rachel lui répondit : « Ne crains pas. Va avec eux, et Dieu sera avec toi. »
Nous sommes le 9 juin 2016, et je suis en route vers le tombeau de Rachel. Je viens de Jérusalem, tout comme elle. Je suis dans une Kia et j’ai trouvé un guide qui se dit anarchiste et ancien soldat des Forces israéliennes de défense (nom officiel de l’armée israélienne). …
Quand nous approchons de Bethléem, je vois le Mur se dresser devant nous. Je ne peux m'empêcher de ressentir le même sentiment d’appréhension et de stupeur que cinq années auparavant. Ce côté du mur autour de Bethléem est vierge de tout graffiti. Après un virage nous avons tout d’un coup le Mur de deux côtés. Je suis dans un canyon de béton. Les virages se suivent et nous arrivons à un carrefour d'où partent trois voies. Nous sommes arrivés.
Il y a là beaucoup d’enfants. Et des soldats qui doivent avoir au moins 18 ans mais qui me semblent en avoir plutôt 16…
Je ne peux pas voir la tombe. Elle est derrière une forteresse qui sort du mur. Mon guide m’indique un gribouillis rouge sur la carte : un cimetière musulman et un camp de réfugiés du nom d’Aïda. Je regarde à nouveau la scène sur le terrain. Tout cela, la route spéciale, le canyon emmuré, le carrefour emmuré, et les soldats, pour que les écoliers israéliens puissent se rendre à la tombe d’une femme qui, dans leur esprit, symbolise la mère la plus sacrée du judaïsme sans être agressés par des enfants palestiniens qui lanceraient des pierres sur eux. En fait ce n’est pas si simple que cela, disent les politiques, les diplomates, les analystes militaires, les historiens, les théologiens et les critiques culturels. Et en même temps c’est aussi simple que cela.
Allons donc voir à quoi ressemble cette tombe. Je passe par la porte réservée aux femmes. Au premier abord, je ne vois qu’une petite pièce avec des femmes assises sur des bancs, de petits livres de prières dans les mains et marmonnant en hébreu. Une ou deux ont la tête rejetée en arrière et les pages du petit livre reposent sur leur visage, leur couvrant les yeux, le nez et la bouche. D’autres sont debout devant un mur perforé et prient avec une intensité telle qu’on a l’impression que leurs petits livres vont s’envoler. À travers le mur je vois un sarcophage recouvert de satin blanc. Certaines des femmes me rappellent les mennonites, ces Hollandais si simples de Pennsylvanie que j'ai du côté paternel de ma famille. Elles portent des turbans qui ressemblent à des bonnets, de longues jupes froncées et des tabliers de travail. Certaines prient pour avoir des fils comme le fit Rachel après avoir longtemps été sans enfant. Quoi qu'il en soit, tout comme pour la crèche de Jésus, il n'est pas sûr que ce soit ici que Rachel a été enterrée. Certains archéologues pensent qu’elle l'a été au nord de Jérusalem, près de l'endroit aujourd’hui appelé al-Ram…
Je suis juste à côté du camp d’Aïda à Bethléem… qui est de l’autre côté du mur. Il y a dans le mur un panneau métallique. Lorsque les soldats le lèvent par télécommande, vous vous trouvez au tombeau de Rachel. Des garçons du camp d’Aïda viennent manifester ici de temps à autre. Je lève les yeux et je vois des caméras. Des soldats installés à Jérusalem surveillent ainsi les gamins. S’il le faut, ils utilisent un petit canon fixé au sommet du mur près du fil électrifié pour les arroser d'un liquide qu'on appelle de la mouffette. J’ai fait l’expérience de son odeur sur un chemin de terre plus au nord où des garçons ont l’habitude de manifester. Cela y sent les égouts et le soufre et, ce n'est pas une surprise, la mouffette. La société israélienne de recherche et de développement Odortec l’a développé en coopération avec le département de police israélien pour remplacer « les méthodes conventionnelles, qui vont de la force physique aux gaz lacrymogènes et aux canons à eau ». Le site internet de la société dit que le produit n’est pas toxique, qu’il est biologique …et buvable.
J’ai un guide palestinien maintenant. Il est grand, grisonnant et a l'air distingué. Avec son polo blanc rentré dans le pantalon, il me fait penser à un professeur. Il me dit qu’il marchait dans cette rue lors de la manifestation hebdomadaire du vendredi lorsqu’il a été arrosé à la mouffette. Il ne lançait pas de pierres, il se rendait à un magasin. Il lui a fallu trois jours et de multiples douches pour libérer son corps de la puanteur. Il dit cela tout simplement, pas comme quelqu'un qui se plaint. Alors que nous marchons, il me dit aussi qu'il n’est pas vraiment sûr que les soldats israéliens préfèrent la mouffette au gaz lacrymogène : « Je suis allé sur YouTube et j’ai vu une vidéo où ils disaient : « Nous allons vous asperger de gaz lacrymogènes jusqu’à ce que vous mourrez tous, enfants, femmes et vieillards ». Et ainsi de suite. Je les entends moi-même dire cela. C'est cela le genre de guerre que nous connaissons ici. »
Extraits de ‟Storyland” de Lorraine Adams, romancière américaine et journaliste lauréate du Prix Pulitzer. Ce chapitre figure dans ‟Kingdom of Olives and Ash” (Royaume d’olives et de cendres). Édité par Michael Chabon.
Ressources (en anglais)
Vous trouverez d'autres récits sur http://aeicenter.org/?p=413.
Vous pouvez aussi regarder une vidéo de 9 minutes sur le « Musée du Mur » sur https://vimeo.com/143457242.
Il existe un montage vidéo sur l'une des affiches du « Musée du Mur » : « Le pigeon ». C’est la magnifique histoire d'un enfant écrite par quatre jeunes de Bethléem : https://www.youtube.com/watch?v=TDtMYELs5L8.
L'Institut arabe d'Éducation dispose aussi d'un dossier d'information sur le secteur du Tombeau de Rachel et sur les activités de la Maison de l’histoire du Soumoud.
Traduit par les Amis de Sabeel France
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