Kumi Now Semaine 41 : du 28 juillet au 3 août 2020


Kumi Now Année 2 Semaine 41 : 28 juillet au 3 août 2020
Les femmes dans le conflit – Les Femmes en noir
Les femmes sont souvent ignorées dans la gestion des guerres. Ce sont presque toujours des hommes qui les déclarent et qui les mènent, mais ce sont les femmes et les enfants qui souffrent le plus de leur violence. Il en est de même pour la fin des guerres : ce sont des hommes qui négocient les traités, sans tenir compte des voix, des besoins et des compétences des femmes. Il en est autrement chez les Femmes en noir : elles constituent un réseau mondial qui veut faire participer les femmes à la solution du conflit israélo-palestinien. Voici ce qu’il vous faut savoir sur le rôle des femmes dans la recherche d’une solution à ce conflit apparemment insoluble, et ce que vous pouvez faire pour que, tous ensemble, nous puissions nous lever : Kumi !
L’organisation
Le mouvement des Femmes en noir est un réseau mondial de femmes engagées dans la recherche de la paix dans la justice et activement opposées à l’injustice, à la guerre, au militarisme et à toute autre forme de violence : « Comme femmes vivant ces réalités dans différentes régions du monde, nous soutenons les initiatives les unes des autres. Nous trouvons important de contester les politiques militaristes de nos divers gouvernements. Plutôt qu’une organisation, nous sommes un réseau de communication et de proposition d’actions possibles. Nos divers groupes de « Femmes en noir » n’ont pas rédigé de constitution ou de manifeste, mais l’optique féministe est claire dans toutes nos actions et dans toutes nos prises de parole.
Nous savons que les diverses formes de violence masculine envers les femmes sont toujours  de même nature, que ce soit dans la vie familiale ou dans la vie publique, en temps de paix ou en temps de guerre. On a toujours recours à la violence pour contrôler les femmes. Il y a des endroits cependant où des hommes partagent cette analyse et soutiennent les « Femmes en noir » dans leurs actions. Et de même les « Femmes en noir » soutiennent les hommes qui refusent de se battre. Ensemble, les femmes peuvent éduquer, informer et influencer l’opinion publique et tenter ainsi de faire de la guerre une option impensable. »
Les groupes de Femmes en noir organisent des actions non-violentes et non-agressives, comme tenir des vigiles, s’asseoir pour bloquer une route, pénétrer dans des bases militaires et autres zones interdites, refuser d’obéir aux ordres, et « témoigner ». Tout groupe de femmes, n’importe où dans le monde, peut organiser une vigile de Femmes en noir contre une manifestation de violence, le militarisme, ou la guerre. Nos vigiles non-violentes prennent souvent la forme de femmes vêtues de noir qui, à intervalles réguliers, se tiennent debout en silence dans des lieux publics, brandissant des pancartes et distribuant des tracts. Dans diverses cultures, s’habiller en noir est un signe de deuil. Les actions de féministes habillées de noir transforment le deuil traditionnellement passif des femmes pour ceux qui sont morts à la guerre, en un refus puissant de la logique-même de la guerre.
C’est à Jérusalem en 1988 que les veillées de Femmes en noir ont commencé, en réaction au déclenchement de la première Intifada palestinienne. Lorsqu’en 2001, en Israël-Palestine, des femmes en noir membres d’une coalition de Femmes pour une paix juste appelèrent à des vigiles pour protester contre l’occupation des terres palestiniennes, au moins 150 groupes de Femmes en Noir répondirent à leur appel partout dans le monde. On estime que près de 10 000 femmes y ont participé. Au moment le plus fort du mouvement anti-occupation, on a recensé 30 vigiles sur l’ensemble du pays. Depuis 1988 jusqu’à aujourd’hui, quatre vigiles se réunissent chaque vendredi de 13 h à 14 h à Gan Shmuel, à Haïfa, à Jérusalem et à Tel Aviv. Vous pouvez trouver les Femmes en noir sur leur site internet http://womeninblack.org/.
La situation
Dans le contexte palestinien, les femmes ont à faire face aux mêmes défis que les hommes, mais elles doivent en plus porter le poids de l’occupation sous des aspects particuliers qui échappent souvent à l’opinion publique et aux médias. Les démolitions de maisons par exemple, de même que les logements surpeuplés, causent aux familles des difficultés économiques dont elles pourraient bien se passer. Au sein des foyers, ce sont les femmes qui assurent les premiers soins, tout particulièrement aux enfants et aux personnes âgées. Les checkpoints aussi les obligent à faire face à toutes sortes de difficultés, par exemple quand elles veulent accompagner des membres de leur famille à l’hôpital. Les veuves également sont touchées : prise en charge des enfants, entretien de la maison, souci de stabilité pour les divers membres de la famille…

Beaucoup de femmes sont exposées à des violences physiques, psychologiques et sexuelles de la part de colons, de soldats, de gardiens de prison, et même de membres de leur propre famille. Souvent les femmes palestiniennes ne signalent pas les violences qu’elles subissent de la part des soldats et des colons, parce qu’elles ont peur des répercussions possibles et parce qu’elles ne croient pas que le système judiciaire pourrait vraiment les protéger. Selon le Centre des Femmes pour l’Aide et le Conseil Judicaires (WCLAC), seules 105 des 1 805 plaintes déposées entre 2000 et 2009 ont été suivies d’une mise en accusation, soit 6 % seulement des cas. Des situations comparables de violence sexuelle existent au sein du système pénitentiaire israélien, où les femmes subissent des agressions sexuelles ou des menaces envers leurs proches. En plus de cette cruauté, le très faible nombre de visites de la famille et la séparation d’avec leurs enfants augmentent encore le stress psychologique et émotionnel auquel les femmes ont à faire face en prison. Il est important aussi de noter que les femmes peuvent subir des violences et des mauvais traitements au sein de leur propre foyer. Selon Femmes des Nations Unies, environ 30% des femmes ont subi des violences au sein de leur foyer, mais seulement 35% d’entre elles les ont déclarées. Les femmes de Palestine souffrent à la fois de l’occupation et des règles patriarcales de leur propre société.
Jean Zaru, chrétienne quaker palestinienne et militante pacifiste, dépeint un tableau poignant de quelques-uns des combats que doivent livrer les femmes palestiniennes dans leur vie sous occupation : « La plupart des images de Palestiniens dans les médias sont celles d’hommes et de garçons par centaines dans les rues de Gaza, soit pour des manifestations, soit pour des funérailles… Mais lorsqu’il y a des coups de feu, lorsqu’il y a des morts, lorsqu’il y a des funérailles, les femmes sont impliquées. Elles ne quittent pas leur maison pour se répandre dans les rues, mais les femmes soutiennent encore la moitié du ciel. Une grande partie du travail des femmes est invisible, en particulier aux yeux des médias.
Les femmes de Palestine sont souvent désignées comme « le ciment de notre société ». Nous sommes celles qui maintenons l’unité de nos familles quand nos maris, nos frères, nos fils sont en prison, déportés, blessés ou tués, ou encore lorsqu’ils ont émigré pour des raisons économiques ou politiques. Pourtant, comme dans toutes les sociétés, les femmes palestiniennes ont été cantonnées dans des rôles subalternes et tenues à l’écart des cercles cruciaux de prise de décision…
Ainsi, en tant que femme palestinienne, je me trouve à me battre sur deux fronts. Les femmes palestiniennes doivent travailler pour la libération sur le front national, tandis qu’en même temps elles travaillent à la libération des femmes au plan de la société. Nous avons à lutter pour nous libérer de la hiérarchie et des structures dominées par les hommes dans notre société » (Jean Zaru : Occupés mais non-violents p.185-186).
Un récit : ‟Je l’ai dessinée ensanglantée”
Dans son introduction au livre « Lettres à la Palestine : Réactions d’écrivains à la guerre et à l’occupation », Vijay Prashad, célèbre historien du Moyen Orient, joue le témoin extérieur qui jette un regard sur la tragédie de la Palestine. Il y raconte l’histoire de Fida Qishta qui, à son tour, raconte celle de Mona. Cette femme et cette fille font toutes deux appel à leur art pour attirer l’attention sur les injustices faites à elles-mêmes et à leur peuple. Cela vaut la peine de se poser la question : Quel est leur pouvoir ? Qui est responsable de ce qu’elles vivent ? En quoi leurs vies seraient-elles différentes si des femmes et des filles comme elles étaient au pouvoir ? Et comment faire advenir cela ? :
« Une guerre de plus, une période épuisante de plus pour les Palestiniens, une période pleine de morts et de destructions, de terreur et de ses traumatismes…
Fida Qishta, qui est née et qui a grandi à Rafah en Palestine, a promené sa caméra pour montrer la vie dans sa bande de Gaza. Elle a rassemblé son histoire dans la douloureuse méditation d’un film : Où les oiseaux devraient-ils voler ? (2012). Des scènes de fermiers et de pêcheurs ordinaires qui essaient d’exercer leur métier sous les tirs de canonnières et de snipers israéliens vont droit au but. Tous ceux qui parlent des roquettes du Hamas tirées sur Israël devraient regarder cette partie du film de Qishta où il est fait un usage banal et même provocateur de tirs pour rabaisser et effrayer des Palestiniens désarmés qui essaient tout simplement de gagner leur vie. Bulldozers et frontières leur rendent la vie impossible. Puis est venue l’opération Plomb durci en 2009. C’est une chance que Qisha ait eu sa caméra à portée de main et qu’elle soit si courageuse. Les scènes sont dérangeantes et honnêtes, il n’y a rien de fabriqué dans son film. Nous sommes là le 18 janvier, le jour où une attaque israélienne a tué quarante-huit membres de la famille de Helmi et Maha Samouni dont la maison à Zeitoun, dans les faubourgs de la ville de Gaza, a été bombardée puis occupée.
Puis nous rencontrons Mona. Elle est au centre de ce film d’une précision dérangeante. Âgée de dix ans, elle est la guide de Qisha à travers les souffrances et la résilience de Gaza. Sa famille de fermiers a été regroupée par l’armée israélienne dans la maison d’un voisin, et cette armée accusait son frère de faire partie du Hamas. Sa maison est alors bombardée par des avions. Qisha demande à Mona combien de personnes de sa famille ont péri ce jour-là. « Dans ma proche famille ? » demande Mona innocemment, sans se rendre compte de la gravité de sa question. Il y a eu tant de morts, mais elle semble résignée et pleine de sagesse. « Si nous mourons, dit-elle gravement, nous mourons. Si nous survivons, nous survivons. » Elle montre à Qisha un dessin qu’elle a fait du massacre : « C’était une mer de sang et de morceaux de corps humains, dit-elle. Ils ont pris ceux qui étaient les plus chers à mon cœur », désignant ainsi ses parents. Elle indique une personne sur son dessin : « C’est la Palestine. Je l’ai dessinée ensanglantée. »
L’introduction complète est publiée en ligne par Verso Books sur https://www.versobooks.com/blogs/1994-a-country-in-darkness

Action
Lancez une vigile de Femmes en noir s’il n’en existe pas encore chez vous ! Suivez le lien http://womeninblack.org/action/ pour connaître les directives générales pour le faire, puis annoncez quand et où elle aura lieu. Prenez-en une photo et diffusez-la sur les médias sociaux, avec un lien vers cette page du site web de Kumi Now et les hashtags #WomenInBlack, #KumiNow, et #Kumi41. Si vous ne pouvez pas vous joindre à une vigile ou en organiser une, tenez-vous durant une heure à un endroit public pour protester contre l’occupation de la Palestine, et en solidarité avec les vigiles qui ont lieu partout dans le monde…
Un texte : ‟Les mots derrière les mots”, de Naomi Shihab Nye
Les mains de ma grand-mère reconnaissent les raisins,
l’éclat humide de la nouvelle peau d’une chèvre.
Lorsque j’étais malade, elles me suivaient,
je m’éveillais d’une longue fièvre et les trouvais
couvrant ma tête comme de fraîches prières.
Les jours de ma grand-mère sont faits de pain,
de rondes caresses et de lente cuisson.
Elle attend près du four, observant une voiture étrangère
qui tourne dans la rue. Peut-être son fils
parti en Amérique et perdu pour elle. Le plus souvent ce sont des touristes
qui s’agenouillent et pleurent dans de mystérieux sanctuaires.
Elle sait quand il y a du courrier
et combien rares sont les  lettres.
Lorsqu’il en arrive une, elle l’annonce, un vrai miracle
et en écoute le contenu, lu et relu
dans la faible lueur du soir.
La voix de ma grand-mère dit que rien ne saurait la surprendre.
Prenez-lui la blessure causée par un tir de fusil, et le bébé estropié.
Elle connaît les lieux que nous parcourons,
les messages que nous ne pouvons envoyer car nos voix sont faibles
et se perdraient en route.
Adieu an manteau du mari,
et à ceux qu’elle a aimés et nourris,
qui d’elle s’envolent comme des graines dans un ciel profond.
Ils se planteront d’eux-mêmes. Nous allons tous mourir.
Les yeux de ma grand-mère disent qu’Allah est partout, même dans la mort.
Lorsqu’elle parle du verger et du nouveau pressoir à olives,
lorsqu’elle raconte les histoires de Joha et de ses sagesses insensées,
c’est Lui qui est sa première pensée, ce qu’elle pense réellement c’est Son nom.
« Réponds, si tu entends les mots sous les mots,
sinon ce n’est qu’un monde aux bordures nombreuses, rugueuses,
difficiles à traverser, et nos poches sont pleines de pierres. »
De Naomi Shihab Nye, poétesse, auteure de chansons et romancière, de père palestinien et de mère américaine. Publié par Salma Khadra Jayyusi dans Anthologie de la littérature palestinienne moderne.
Ressources (en anglais …sauf le premier livre indiqué)
Livre en français : Jean Zaru : Occupés mais non-violents, Riveneuve 2016, 225 pages, 15 €.

Paroles de femmes sur la résistance non-violente :
-    Freya Aquarone: The Art of Resistance: https://youtu.be/QttCF1sURzU
-    Scilla Elworthy: Fighting with Nonviolence: https://youtu.be/mk3K_Vrve-E
-    Erica Chenoweth: The Success of Nonviolent Civil Resistance : https://youtu.be/YJSehRlU34w
Articles sur le rôle des femmes dans la résolution du conflit israélo-palestinien :
-“Can Women Solve the Israeli-Palestinian Conflict?” par Aloha Ferber, Forward https://forward.com/sisterhood/323087/will-women-solve-the-israeli-palestinian-conflict/
- “Women and Power in the Israeli-Palestinian Conflict” par Lucy Nusseibeh, Palestine-Israel Journal of Politics, Economics and Culture http://www.pij.org/details.php?id=1371
- “Gender and Conflict Transformation in Israel/Palestine” par Shimona Sharoni, Journal of International Women’s Studies http://vc.bridgew.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1026&context=jiws
- “Role of Women, Youth in Peaceful Settlement of Question of Palestine at Heart of United Nations Meeting in Paris”, United Nations https://www.un.org/press/en/2012/gapal1232.doc.htm
Rapports de WCLAC (Centre des Femmes pour l’Aide et le Conseil Judiciaires) sur le rôle des femmes en situation d’occupation :
-    Joint-submission by WCLAC to Israel’s Universal Periodical Review: Palestinian Women Under Prolonged Israeli Occupation (2017): http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1941
-    Women’s Voices: Glimpses of Life Under Occupation (2012): http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1148
-    UN Submission by WCLAC on Jerusalem Women- Issues of Concern (2017): http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1880
-    Women and the Draft Constitution of Palestine (2011): http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1078
-    The Experience of Personal Status Law in Palestine (2011) http://www.wclac.org/english/etemplate.php?id=1105
-    Women’s Center for Legal Aid and Counseling: Women’s Voices in the Shadow of the Settlements: A 2010 report on Israel’s human rights violations against Palestinian Women.




Traduit par les Amis de Sabeel France

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