Les villages cachés sous les forêts
Zochrot, le droit au retour, et le Fonds National Juif
Cela fait plus de soixante-dix
ans que les Palestiniens se battent pour obtenir le droit au retour dans leurs
foyers et leurs propriétés. Le droit au retour est inscrit dans la Déclaration
universelle des Droits de l’homme, et des précédents remontent jusqu’aux
philosophes de l’Antiquité. La conception du droit au retour des Palestiniens qui est
celle de Zochrot voudrait faire d’Israël une patrie et un lieu où il
fait bon vivre pour tous, Palestiniens et Israéliens Voici ce que vous devriez savoir sur le droit au retour des
Palestiniens, et ce que vous pouvez faire pour que, tous ensembles, nous puissions nous lever : Kumi !
L’organisation Zochrot
Zochrot est un mot hébreu qui
veut dire Se souvenir. C’est aussi le
nom d'une ONG israélienne qui travaille depuis 2002 en
faveur de la reconnaissance par Israël de sa responsabilité pour les injustices
persistantes provoquées par la Nakba,
la catastrophe comme disent les Palestiniens
quand ils parlent des évènements de 1948, et en faveur d’un droit au retour des
Palestiniens comme réparation pour cette Nakba
et chance de vie meilleure pour tous les habitants du pays.
Zochrot envisage le retour
comme un processus multidimensionnel qui ne se limiterait pas au simple retour
des réfugiés dans leur pays, mais se soucierait aussi de leur dignité et de
leur pleine intégration dans une société
commune, dans laquelle Juifs et Palestiniens auraient le même statut. Dans une
telle perspective, le retour commence bien avant que les réfugiés ne reviennent
effectivement, et se poursuit bien longtemps encore après leur retour dans leur
patrie.
Vous trouverez Zochrot sur son site http://zochrot.org/ ou
sur Facebook à http://www.facebook.com/Zochrot et
sur YouTube à http://www.youtube.com/user/Zochrot.
Le problème
Plus de 5 millions de Palestiniens, soit les réfugiés de la première
génération et leurs descendants, sont recensés comme personnes déplacées du
fait de la Nakba, la catastrophe palestinienne de 1948. Au
cours de la guerre de 1948 et par après, plus de 600 localités palestiniennes
ont été vidées de leurs habitants et détruites, et environ 750 000 Palestiniens
ont été expropriés et chassés. En outre, environ 35 000 des 150 000 Palestiniens
qui étaient restés au pays ont été déplacés à l’intérieur d’Israël, selon les
enquêtes menées par BADIL en 2003 et en 2014. La majorité de ces réfugiés
déplacés de l’intérieur vivent aujourd’hui encore à seulement quelques kilomètres
de leur ancien village, tandis que la majorité des Palestiniens réfugiés dans
les pays arabes voisins vivent à moins de 100 kilomètres de la frontière israélienne,
mais ne sont toujours pas autorisés à revenir dans leurs foyers.
Un exemple : l’histoire du
village de Lubya
C’est l’histoire d’un de ces
villages qui ont été vidés de leurs habitants puis détruits au cours de la Nakba, et l’histoire aussi d’un
véritable acte de justice réalisé en 2015, 67 ans après la destruction du
village. Le village palestinien de Lubya se trouvait dans le nord de la
Palestine, à 10,5 km à l’ouest de Tibériade. C’était un village typique de
cette région de collines connue pour ses terres fertiles, sa production de blé,
ses oliviers et ses vergers. A partir de 1596, il a dû payer des taxes pour son
pressoir à olives, ses ruches et ses chèvres. Des siècles durant, c’était un
village prospère. Au 20ème siècle il a connu un développement
rapide, passant de 1 850 habitants et 405 foyers en 1931 à 2 726
habitants et 596 foyers en 1948.
Mais en 1948, les attaques
sionistes contre ce village prospère ont commencé. La première eut lieu le 20
janvier, causant la mort d’un villageois. D’autres attaques ont suivi en février
et en mars. Les villageois se sont battus pour rester dans leur village. Mais quand
Nazareth est tombée le 16 juillet de cette année, les villageois ont été
terrorisés et ont abandonné leurs foyers. Le lendemain matin, les forces
israéliennes ont bombardé le village, détruit toutes ses maisons, et l’ont occupé.
Aïssa Hajjou, une Palestinienne dont les parents avaient habité à Lubya, se
souvient de ce que racontait son père : « Je m’étais caché dans un arbre, j’étais encerclé et ne savais où
aller… C’était hystérique comme ils se déchaînaient sur les gens et les maisons... »
Amina Zu’aitier, une autre réfugiée palestinienne de Lubya, parle ainsi de sa
fuite : « Nous marchions vers
le nord, tentant de fuir au Liban… Je me suis retournée et j’ai vu Lubya au
loin. Ses maisons étaient en feu, le ciel était plein de fumées. Je pleurais
depuis que j’avais quitté Lubya, mais là j’ai réalisé que c’était fini. Nous
avions tout perdu. »
En 1949, la ville israélienne
de Lavi a été construite sur des terres du village. La forêt de Lavi et celle « d’Afrique
du Sud » ont été plantées sur d’autres parcelles du village grâce aux
subventions du Fonds National Juif. Et
en 1965, les vestiges du village ont été entièrement démolis. Navif Haiju
résume les sentiments éprouvés lors la perte de sa maison en disant qu’il était
condamné à « porter le fardeau du
chagrin et de la peine d’avoir perdu notre village ». Amina Zu’aitier
ajoute : « Il ne restait plus
rien de Lubya. Ils ont même démoli la mosquée et ont rempli de pierres les
puits dont nous buvions l’eau. Puis ils ont planté des arbres partout, pour
tout cacher. »
Les réfugiés de Lubya :
Après la Nakba,
la majorité des réfugiés de Lubya vivaient dans des camps de réfugiés au Liban,
en Syrie et en Jordanie. Seul un petit nombre de familles était resté dans ce
qui est devenu Israël. Ils y sont devenus des déplacés de l’intérieur, des « absents présents » dans le
jargon juridique israélien, la plupart dans le village de Dayr Hanna. Après les
massacres de Sabra et Chatila au Liban, beaucoup de réfugiés de Lubya ont pour
la seconde fois tout perdu, et sont partis en Europe. Et la guerre civile en
Syrie a tué d’autres réfugiés encore de Lubya, surtout dans le camp de réfugiés
d’al-Yarmouk. La plupart des survivants ont, eux aussi, fui en Europe. L’ensemble
des réfugiés de Lubya et de leurs descendants ailleurs dans le monde est aujourd’hui
estimé à 40 000 personnes.
En 1950, Israël a passé la Loi sur les propriétés des absents, qui
dépouillait les Palestiniens de leurs propriétés. Voici comment Muhammad
Kharzoun, un réfugié de Lubya, décrit son état de sans-foyer : « Oui, nous étions tous des paysans,
mais l’amour de notre patrie fait partie de notre foi et de notre religion. Il
fait partie de notre âme, il est même plus précieux que notre âme. Quiconque n’a
pas cela n’a plus rien. » Cette loi
sur les propriétés des absents a été le principal outil juridique utilisé
par le gouvernement israélien pour accaparer les terres palestiniennes.
Le comportement colonialiste
du Fonds National Juif (FNJ)
La forêt de Lavi, dont une
partie s’appelle « Forêt d’Afrique
du Sud » (explication ci-dessous), couvre actuellement les ruines du
village de Lubya. Le seul vestige visible du village est son cimetière avec,
sous les pins, les humbles inscriptions que l’on peut encore lire sur de
vieilles tombes musulmanes. Le réfugié Hamad Jodeh les avait bien repérées :
« Si je n’aimais pas cet endroit, dit-il,
continuerais-je à toujours y revenir avec
mon tracteur ? Ils en ont fait une forêt pour prétendre qu’il n’y a jamais
eu de village ici. Mais les cactus qui y poussent prouvent bien que des Arabes y
vivaient. »
Cette forêt de Lavi a été
plantée par le Fonds National Juif, créé
en 1901 pour acheter et occuper des terres palestiniennes au nom du peuple juif,
et en faire des colonies juives. Ce processus inclut la judaïsation du paysage,
en faisant disparaître toute trace de présence, d’histoire et de mémoire
palestiniennes. Plus des deux tiers des forêts plantées par le Fonds National Juif l’ont été sur
l’emplacement de villages palestiniens détruits, aujourd’hui inaccessibles,
sans nom, et non entretenus. Aujourd’hui, le Fonds National Juif s’enorgueillit d’être une ONG qui se soucie de
l’environnement en plantant des arbres et en créant des parcs ! Mais
où ? Et dans quel but ?
Excuses et reconnaissance de
responsabilité
On a appelé
« justice de transition »
ce que peut être la justice lors de périodes de transition entre dictature et
démocratie, conflit et réconciliation. Dans le contexte israélo-palestinien, on
pourrait parler d’une « justice pré-transitionnelle » comme d’un
ensemble d’attitudes et de stratégies qui, dans le contexte de ce conflit apparemment
insoluble, s’efforcent de passer d’une attitude de négation et d’impunité à une
attitude de reconnaissance des faits avec sa propre part de responsabilité.
S’excuser est une manière de reconnaître sa responsabilité et le commencement
d’une possibilité de réparation, tant matérielle que symbolique.
C’est ce qui s’est passé avec la
forêt de Lavi. Les dons pour la planter provenaient de juifs d’Afrique du Sud
dans les années 1960, à l’époque de l’apartheid. Mais après la fin de
l’apartheid et après avoir découvert pourquoi cette forêt avait été plantée là
où elle l’avait été, des Juifs d’Afrique du Sud ont lancé en 2012 le mouvement « StopTheJNF South Africa - Non au
Fonds National Juif d’Afrique du Sud » pour faire connaître la vérité.
Et en 2015 des membres de ce groupe sont venus à Lubya pour s’excuser et demander
pardon aux réfugiés.
Shereen Usdin, une militante
sud-africaine de « Non au Fonds
National Juif d’Afrique du Sud », déclarait lors de ces excuses :
« Cette forêt veut effacer le
souvenir de Lubya, mais il est impossible de nier ce qui s’est passé ici. Ces
pierres, ces tombes, ces puits, ces plants de cactus en sont tous des témoins. Aujourd’hui,
nous, Juifs d’Afrique du Sud, sommes venus ici dans cette forêt et sur ces
ruines de Lubya pour reconnaître cette injustice et en assumer la
responsabilité ». C’était un évènement exceptionnel qui a eu lieu en mai
2015, coordonné et mis en œuvre par Zochrot, et auquel ont participé beaucoup
de personnes, des militants, des médias, et des réfugiés du village. Cette
initiative a été un geste symbolique important, qui pourrait entraîner d’autres
actions de restauration et envisager le droit au retour pour tous les réfugiés
palestiniens.
Pour plus d’informations sur cette
visite, avec aussi des images et des vidéos, allez sur la page Lubya du site de
Zochrot : http://zochrot.org/en/village/49244.
Action
Commencez par regarder ‘Le village sous la forêt’, un documentaire
en anglais de 54 minutes qui raconte l’histoire de Lubya présentée ci-dessus. Puis
projetez-le dans votre paroisse ou tout autre groupe. Vous pouvez en voir la bande
annonce sur https://youtu.be/ISmj31rJkGQ (en anglais) et l’acheter ou le regarder en
streaming sur https://vimeo.com/ondemand/villageundertheforest/78181601.
Mais, de grâce, ne vous arrêtez
pas là : Lubya n’est que l’un de ces nombreux villages palestiniens
détruits et recouverts par les forêts du Fonds
National Juif grâce au soutien par des dons étrangers. Si vous regardez ces
forêts sur Google Maps, vous entendrez
des commentaires qui les vantent pour leur beauté et toutes les possibilités de
loisirs qu’elles offrent. Mais l’histoire réelle et le droit sont enterrés en
ligne comme les villages palestiniens le sont dans la réalité. Faites connaître
la véritable histoire des terres palestiniennes à ceux qui viennent en Israël
pour les visiter, en postant un commentaire sur Google Maps. Par exemple en écrivant : « Ce lieu est certainement beau, mais savez-vous que cette forêt a
été plantée sur des maisons et des villages palestiniens qui ont été détruits,
et qu’il s’agit d’une terre qui, selon le droit international, appartient aux
réfugiés palestiniens et à leurs descendants ? » Et demandez au
Fonds National Juif de reconnaître ses fautes et de les réparer, pour que Juifs
et Palestiniens puissent vivre en paix les uns avec les autres, en bons voisinage. Pour ce faire et raconter la véritable
histoire de la forêt de Lavi et de celle « d’Afrique du Sud », allez
sur https://goo.gl/maps/aV2iC1Rb1Kz.
Vous trouverez une information
sur les dons provenant du Canada en
regardant l’interview “Three Palestinian
Villages Are Buried Under Canada Park” (Trois villages palestiniens détruits
après la guerre de 1948 sont enterrés sous Canada Park, durée : 3 mn) sur https://youtu.be/98EHGWGqpsk, ou sur
“Canada Park in Israel”
(Canada Park en Israël) : la 1ère partie sur https://youtu.be/yHRbR7nMxN4 et la deuxième partie sur https://youtu.be/NrhaglA5c_w puis laissez une critique sur le site Google Maps d’Ayalon Canada Park sur https://goo.gl/maps/eVevSStrgCB2
Pour
les dons provenant de Grande Bretagne et des États-Unis, vous trouverez sur https://youtu.be/QUrlojwSWI8 la présentation “Stop the JNF” (Non au FNJ) avec une
information sur Britania Park et USA Independence Park, établis sur des
douzaines de villages palestiniens détruits. C’est impressionnant. Vous pourrez donner votre avis sur Britania Park à https://goo.gl/maps/NAEz5Gosotk et sur USA Independence Park à https://goo.gl/maps/b5GUerFcH5x.
Un
mot encore sur Lifta :
Lifta est le seul village palestinien à ne pas avoir été détruit. C’est aujourd’hui
un parc populaire où les citoyens israéliens aiment venir nager dans les
piscines. Les présentations que vous pourrez en lire sont extrêmement positives,
mais sans la moindre allusion à l’injustice commise envers les anciens
propriétaires. Regardez sur https://youtu.be/L7afYef4bSQ la courte vidéo “Sons of Lifta” (Enfants de Lifta) réalisée par BADIL, puis laissez
un commentaire sur https://goo.gl/maps/3spdukNt5Sp.
Vous pourrez diffuser une photo
de votre projection et/ou de vos critiques de Google Maps sur les réseaux sociaux, avec un lien vers cette page
du site web de Kumi Now et les
hashtags #KumiNow et #Kumi39.
Réflexion de l’archevêque émérite palestinien
Elias Chacour
« J’atteignis Biram [mon village qui avait été détruit en 1948] au
lever du soleil… [et] vis croître la lumière du jour dont la chaleur
s’infiltrait doucement à travers les branches d’oliviers. Seuls le gazouillement
des oiseaux et le crissement de mes pas sur le gravier troublèrent le silence. Tout
autour de moi, les maisons [démolies] étaient solennelles et fantomatiques.
J’escaladai un mur effondré et pénétrai dans la carcasse faiblement éclairée de
l’église. Dans le presbytère, les hirondelles utilisaient les poutres pour
faire leurs nids. Et moi, je restai là, saisi, muet, submergé par un sentiment
de désolation.
Cependant, au même instant, je ressentis une profonde
impression de vie. Les rires, les voix des femmes et les conversations des hommes…
semblèrent monter des maisons en ruine. Dans l’église, sous le clocher
chancelant auquel on avait volé le carillon, les voix des enfants chantaient à
nouveau l’« Alléluia ». Même les bombes ne pouvaient vraiment détruire
l’hommage à Dieu, à la vie et à la terre que nous avions rendu ici … Il était
terriblement triste de constater que des hommes ignorent le plan divin de paix entre
frères divisés et qu’ils apportent leur soutien à ceux qui déploient leurs
forces pour expulser les autres… [Ce à quoi nous sommes appelés, c’est] relever,
à l’exemple de Jésus, les hommes et les femmes écrasés et avilis… »
Extrait du livre « Frères
de Sang » de l’archevêque émérite Élias Chacour, né en Haute Galilée et nominé
trois fois pour le Prix Nobel de la Paix. Les éditions du Cerf, 1985, p.129,
130, 137.
Ressources
(en anglais)
Vidéos :
“Palestinian Villages Hidden Under Israeli
Forests” de Jonathan Cook : https://vimeo.com/184497845
“Trees
as Politics: JNF and Colonization in Israel” de Lia Tarachansky : https://youtu.be/9c2xkHlZKXA
“JNF
Complicity Challenged” de Alternative Information Center : https://youtu.be/y_Y5AkPPrJU
“Practicalities
of Return II: Peace without Return” de BADIL Resource Center : https://vimeo.com/132706016
Articles et Rapports :
“On
the 70th anniversary of the Nakba, a look back at the Palestinian struggle for
their right of return” par Mike Merrryman-Lotze et American Friends Service
Community : https://www.afsc.org/blogs/news-and-commentary/70th-anniversary-nakba-look-back-palestinian-struggle-their-right-return
“Absentee’s
Property Law” de Adalah – The Legal Center for Arab Minority Rights in Israel :
https://www.adalah.org/en/law/view/538
“South
Africans apologize over forest planted on Palestinian village” par Sarah Levy sur
The Electronic Intifada. https://electronicintifada.net/content/south-africans-apologize-over-forest-planted-palestinian-village/14494
“The Jewish
National Fund as a Colonial Entity” de The Nakba Files : http://nakbafiles.org/2016/08/31/the-jewish-national-fund-as-a-colonial-entity/.
“Palestinian
Internally Displaced Persons inside Israel: Challenging the Solid Structures”, de
BADIL Resource Center : http://www.badil.org/phocadownload/Badil_docs/Working_Papers/Palestinian.IDPs.pdf
Traduit par les
Amis de Sabeel France
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