Pourquoi ce colloque ?
Bonjour. Je suis heureux de vous accueillir au nom des organisateurs de
cette conférence : les Amis de Sabeel France, l’Institut Protestant de
Théologie qui nous accueille, et l’Atelier Protestant. Le fait que vous soyez aussi
nombreux ce matin malgré toutes les autres rencontres, y compris en ce lieu,
signale que le thème que nous allons travailler touche à quelque chose
d’important pour nos vies, nos Églises, nos divers engagements.
Plusieurs ont été empêchés en dernière minute, comme Bertrand Vergniol qui
doit présider une action de grâce pour la vie de Guy Botinelli, mais je sais
qu’il y a plusieurs anciens accompagnateurs œcuméniques en Palestine-Israël
parmi nous, et je suis sûr qu’ils/elles auront beaucoup à nous apporter.
Je suis le président des Amis de Sabeel France, et dois introduire
cette journée placée sous le thème « Israël
dans la Bible et l’État d’Israël aujourd’hui – Des chrétiennes et des
chrétiens, d’ici et de là-bas, s’interrogent ». Il y a
effectivement de quoi s’interroger… Je m’interroge souvent aussi… Comme quelqu'un
qui s’intéresse depuis longtemps à la situation en Israël-Palestine, et qui a
eu la chance dans sa vie d’aller à la rencontre de nombreuses paroisses, je me
suis toujours à nouveau rendu compte à quel point les confusions, et parfois
les émotions, positives ou négatives, étaient grandes parmi beaucoup de membres
de nos Églises, chez nous en France et ailleurs en Europe, et aussi au
Proche-Orient, dès que le simple mot d’‘Israël’ était prononcé.
Car de quoi veut-on parler quand on utilise ce mot ?
-
Veut-on parler des histoires de Saül et de David
dont on a des souvenirs du temps où l’on allait à l’École du Dimanche ou au catéchisme ? Donc de réalités plus
ou moins claires dans notre mémoire, mais loin de nos préoccupations
présentes ? …À moins
qu’elles ne nous invitent à un certain état d’esprit, qui peut être très
variable ?
-
Veut-on parler de l’antique Royaume du Nord (le
Royaume d’Israël !) qui s’était constitué après les règnes de David et de
Salomon et qui a pris fin avec la prise de Samarie et la déportation de ses
habitants en 722/721 avant Jésus-Christ ? Mais beaucoup de nos paroissiens
ont oublié cela, ou ne l’ont jamais vraiment su.
-
Ou veut-on parler des rescapés de cette
déportation, du Royaume du Sud qui portait plutôt le nom de Juda, mais dont la
population a parfois aussi été appelée ‘Israël’, et dont beaucoup, les
dirigeants et les responsables en tout cas, ont eux aussi été déportés ? Et beaucoup d’entre eux ne sont jamais
revenus : ils sont restés à Babylone, et ailleurs dans la Mésopotamie, et
ailleurs encore dans le Moyen-Orient.
-
Veut-on parler du peuple juif qui s’est
reconstitué en Palestine après le retour d’une partie des exilés, et qui vivait,
comme auparavant d’ailleurs, avec des gens d’autres origines et d’autres
cultures, et le plus souvent sans avoir prise sur la gestion des affaires
publiques, et dont l’identité était marquée par leur foi et leurs pratiques
religieuses surtout ?
-
Veut-on parler du peuple « élu », - comme
si d’autres peuples étaient oubliés de Dieu ? Ou veut-on parler globalement
des Juifs et de leur histoire – que l’on connaît souvent très mal d’ailleurs et
dont on ignore souvent qu’ils ne constituent pas une ethnie, ou un corps homogène ?
Beaucoup pensent alors spontanément à la Shoah et sont gênés, et ont le souci
de ne rien dire ou faire qui pourrait être mal interprété, - et oublient que la
Shoah n’a pas touché tous les Juifs. Ils ne veulent surtout pas être considérés
comme des antisémites !
-
Ou veut-on parler de l’État d’Israël actuel, au
sens politique du mot, dont beaucoup ont admiré la renaissance en oubliant que
la terre n’était ni vide ni un désert avant que des Juifs européens ne s’y
installent et que l’État fût proclamé ? Il le fut dans des conditions
tragiques pour ceux qui n’étaient pas juifs, on l’a longtemps oublié.
-
Beaucoup dans nos paroisses rêvent d’aller
visiter la « Terre d’Israël », ou l’ont fait avec un enthousiasme parfois
d’enfants d’École du Dimanche …et n’ont rien vu, - en tout cas rien de ce que
vivent au quotidien les citoyens arabes, palestiniens donc, d’Israël, et encore
moins ce que vivent les Palestiniens de Cisjordanie, de l’État de Palestine
occupé, avec les checkpoints et toutes les autres misères. Les chrétiens de ce
que beaucoup appellent la « Terre sainte » (je suis moi-même plutôt réticent
à l’égard de cette expression) disent toujours : « Vous venez visiter
les pierres mortes et vous négligez les pierres vivantes ! » Et ils
ont raison.
Nos journaux, protestants en tout cas, parlent, me semble-t-il, davantage
de la spiritualité juive que des problèmes auxquels sont confrontés au
quotidien, là-bas, ceux qui ne sont pas juifs. Mais ceci aussi fait partie de
tout ce que recouvre le mot ‘Israël’. Et nous oublions souvent que les voix les
plus critiques à l’égard de la politique actuelle de cet État sont des voix
juives, d’Israël et d’ailleurs, les voix de Juifs croyants et de Juifs athées.
Il y a donc de quoi s’interroger…
Et quand nous allons au culte (ou à la messe), comment réagissons-nous
quand nous entendons, en entrée, comme prière, la lecture d’un Psaume, lu sans
la moindre explication, sans la moindre introduction, comme cela m’est arrivé
récemment quand le pasteur nous a invités à faire nôtres, sans plus, ces
paroles du Psaume 59 qui commence ainsi (dans la TOB, v. 2-6.14a) : Dieu, délivre-moi de mes ennemis. Protège-moi
de mes agresseurs. Délivre-moi des malfaisants et sauve-moi des hommes
sanguinaires. Car les voici en embuscade contre moi, des puissants m’attaquent
sans que j’aie commis de faute ou de péché, Seigneur ! Je ne suis pas
coupable… Toi, Seigneur Dieu, le tout-puissant Dieu d’Israël, réveille-toi pour
punir toutes ces nations ; sois sans pitié pour tous ces traîtres de
malheur ! … Achève avec
fureur ; achève, et qu’il n’en reste rien !
Je n’ai pas pu
savoir ce que ces mots ont pu suggérer dans la pensée de celles et ceux qui
étaient venus ce matin-là, mais je me suis posé la question : À quel
Israël ont-ils spontanément pensé ? À celui dont nous parle la Bible, ou à
la nation dont les dirigeants ne cessent de répéter que tout le monde, surtout
au Moyen-Orient, est contre eux et les menace ? Mais la question que je me
suis posée tout au long de ce culte était celle-ci : Est-il indiqué de
reprendre sans plus d’explication ce simple terme d’« Israël » dans
nos lectures bibliques et nos prières ?
Il y a 5 ans, en 2013, nous avions organisé un colloque intitulé « Du sionisme chrétien au document Kairos-Palestine »
au cours duquel nous avions parlé de ces « sionistes chrétiens » qui
ne font aucune différence entre Israël tel qu’il apparaît dans la Bible, comme ‘peuple
de Dieu’, et l’entité politique actuelle. Sébastien Fath nous disait alors
qu’ils étaient 30 millions rien qu’aux États-Unis. Il y en a sans doute
beaucoup aussi dans nos paroisses, dans nos synodes.
Mais le ‘peuple de Dieu’ n’est-il pas bien plus grand, et bien autre
chose, que ce que peut évoquer le nom d’un État ? Et qu’en est-il quand
les agissements de l’État en question ne sont pas du tout conformes à ce que
nous croyons être la volonté de Dieu et son amour inconditionnel pour chacune
de ses créatures ? Ce n’est pas pour rien que les chrétiens de cette
région donnent autant d’importance à la parole des prophètes ! Nous
ferions bien de les entendre.
Voyez-vous : les questions ne manquent pas, et il y a de quoi
s’interroger. J’espère que cette journée, avec les intervenants que nous sommes
heureux d’accueillir, nous permettra d’y voir un peu plus clair, et aussi de prendre
nos responsabilités là où nous vivons, avec ceux que nous sommes appelés à
rencontrer.
Ernest Reichert
Président des Amis de Sabeel
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